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Conso : le vrac remet le paquet

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Malgré un net ralentissement dû à la crise sanitaire, le marché de la vente sans emballage reprend des couleurs et innove en proposant de nouvelles gammes de produits. Etat des lieux à l’occasion du «mois du vrac».
Les supermarchés de plus de 400 m2 devront consacrer au moins 20 % de leur surface aux produits sans emballage d’ici à 2030. (Veronique Pecheux/Libération)
publié le 14 mars 2023 à 7h15

Récupérer de la gnôle chez l’épicier avec des bouteilles réutilisables : l’idée peut paraître d’un autre temps, elle est pourtant de nouveau expérimentée. La distillerie familiale charentaise Tessendier, qui livrait jusque-là ses spiritueux (cognac, whiskies, gins, rhums) en vrac auprès de bars et de cavistes, distribue désormais ses élixirs bio via des épiceries spécialisées. Concrètement, elle fournit aux magasins les dames-jeannes avec les bouteilles réutilisables ainsi que les étiquettes affublées des mentions légales. Une solution également développée par le grossiste l’Explorateur du goût, qui a commercialisé auprès d’une centaine de cavistes sa «spirithèque», soit un meuble modulaire en bois avec des bonbonnes rechargeables adaptées à ce mode de consommation antigaspillage et zéro déchet.

10 000 points de vente

«Il y a pas mal d’innovations et aujourd’hui une dizaine de familles de produits sont disponibles en vrac», souligne Célia Rennesson, directrice générale du Réseau Vrac. Parmi les nouveautés mises en exergue par la cofondatrice de cette association qui fédère les professionnels de la filière depuis 2016 : des colorations végétales pour des salons de coiffure «faites sur mesure et à la juste quantité» avec un emballage réutilisable ou encore des croquettes ou de la litière végétale (des pellets de bois) pour chat vendus en jardinerie, voire dans quelques hypermarchés tests. C’est que, si elle a pâti de la crise sanitaire, concurrencée par la livraison à domicile et le drive, sans compter les fermetures de magasins, l’offre du vrac continue de s’étendre. C’est le cas pour nombre de produits, des aliments à l’hygiène en passant par le ménage. Il existe toutefois des exceptions comme le lait pasteurisé, des aliments pour bébé, des surgelés, des compléments alimentaires, pour des raisons de sécurité sanitaire, ou des denrées «compliquées» à distribuer (car friables ou pâteuses) : les chips, les sauces ou les confitures.

Cette extension concerne aussi le nombre de références et les points de vente (épiceries spécialisées, magasins bio et grande distribution), au nombre de 10 000 dans l’Hexagone. «Quand j’ai fondé Réseau Vrac, il n’y avait que quinze commerces spécialisés, fixes ou ambulants. Aujourd’hui, il y en a plus de 1 000 !» note encore Célia Rennesson, à l’initiative du «mois du vrac», une opération de promotion de ce mode de consommation qui se déroule en mars. Et les grandes marques distributrices conventionnelles ou industrielles (M&M’s, Michel et Augustin, Lustucru, Carte noire, Kellogg’s) embraient. Deux facteurs d’explication à cette tendance : d’un côté le vrac est plutôt plébiscité par les consommateurs qui y voient, à juste titre, une façon d’allier le geste écologique à la maîtrise des dépenses et des quantités, selon différentes études (OpinionWay, l’Observatoire société et consommation) ; de l’autre, depuis la loi climat et résilience votée en 2021, les supermarchés de plus de 400m2 devront consacrer au moins 20% de leur surface à la vente de produits sans emballage d’ici à 2030.

«Le prix dépend vraiment des produits»

En revanche, à l’heure actuelle, même en multipliant les tests avec des «coins vrac» en rayons, la grande distribution est loin de remplir ces objectifs. La faute, selon ses représentants, aux réglementations en termes d’hygiène ou aux casse-tête logistiques, et à un business model encore fragile. «Pour certains consommateurs, c’est aussi un frein de ne pas retrouver la marque à laquelle ils ont été habitués», ajoutent Elisa Monnot et Fanny Reniou, enseignantes-chercheuses, spécialistes des modes de consommation responsable, respectivement à CY-Cergy-Paris Université et à l’IGR-IAE Rennes. La filière est d’ailleurs consciente des efforts à faire pour être plus démocratique ou, en tout cas, plus accessible. C’est d’abord une question de prix, dans un contexte d’inflation galopante. «Avec la crise énergétique et du pouvoir d’achat, les gens font des arbitrages dans leurs dépenses et ils le font au détriment des courses du quotidien. Quand on n’a pas de sous, on va chez le discounter», relève Célia Rennesson.

Une étude récente de 60 Millions de consommateurs sur plus de 500 magasins a d’ailleurs montré que le prix des produits conventionnels vendus en vrac est plus élevé que ceux préemballés, mais plus bas pour le bio en vrac et dans les épiceries bio. Cela pourrait s’expliquer par le fait que les hypermarchés tirent en réalité les prix du préemballé vers le bas, sans répercuter sur les prix du vrac les économies faites sur les emballages et le marketing. «Le prix dépend vraiment des produits, mais c’est aussi une question de perception des consommateurs qui voient le prix au kilo, forcément plus cher, concluent Elisa Monnot et Fanny Reniou. Les acteurs de la filière doivent clarifier ce point-là pour améliorer l’accessibilité du vrac. Sans oublier de diversifier les produits disponibles, de faire évoluer la charge logistique et la signalisation en magasin.» Bref, il y a encore du travail en rayon.