La guerre est déclarée. Alors qu’une proposition de loi (PPL) visant Shein et Temu a été examinée lundi 2 juin au Sénat, une grande majorité des commerçants français se sont alliés pour lancer une offensive contre les sites des géants asiatiques. Dans une lettre ouverte adressée au gouvernement, ils réclament le déréférencement de ces plateformes. «8 % à 95 % des produits proposés sur Temu, Shein et AliExpress ne respectent pas les normes en vigueur dans l’UE», dénoncent le Conseil du commerce de France (CDCF) et la Confédération des commerces de France (CCF) en citant des chiffres issus d’enquêtes européennes, dans un communiqué de presse ce mardi 3 juin.
Lundi, ces deux fédérations représentatives, associées à 14 autres et à plus de 230 enseignes (soit environ 80 % du secteur), ont demandé au gouvernement, via la Répression des Fraudes (DGCCRF), d’«engager sans délai une procédure de déréférencement» de Shein, Temu et AliExpress. «La loi française donne déjà les moyens d’action», estiment les deux fédérations signataires, ne semblant pas vouloir attendre la mouture finale de la PPL visant la fast fashion.
Elles rappellent également que «le code de la consommation permettait à la DGCCRF, en cas de manquements graves et persistants, d’ordonner le déréférencement, la suspension ou même le blocage de l’accès à un site». Avant d’insister : «Un commerçant français qui vendrait 94 % de produits non conformes dont 66 % pour dangerosité serait fermé sur-le-champ.»
Enquête
Sollicité par l’AFP, le cabinet de la ministre du Commerce, Véronique Louwagie, assure que cette dernière examine «cette demande avec la plus grande attention, en lien étroit avec ses services». De son côté, Shein certifie à l’AFP investir «cette année 13 millions d’euros pour la sécurité et la conformité des produits, dont 2,5 millions de tests de sécurité et de qualité des produits (soit une augmentation de 25 % par rapport à l’année dernière)». L’entreprise met également en avant ses «partenariats avec 15 agences de test reconnues au niveau international».
Surconsommation et pollution
Les attaques se multiplient devant l’essor fulgurant de ces deux acteurs de l’ultra-fast fashion ou «mode ultra-express» et de l’e-commerce, accusés d’incitation à la surconsommation, de pollution environnementale et de concurrence déloyale vis-à-vis des entreprises européenne.
Lundi, le Sénat s’est longuement penché sur la PPL qui prévoit une interdiction de publicité pour ces entreprises, des pénalités financières ou encore une obligation de sensibilisation des consommateurs à l’impact environnemental de leurs vêtements.
A l’occasion, le président de la Fédération du prêt-à-porter féminin, Yann Rivoallan, avait enfoncé le clou : «Je pense qu’il faut interdire ces sociétés tout court.» «Si ces produits sont dangereux, pourquoi les consommateurs peuvent les acheter ?» s’était-il interrogé sur RTL. A défaut d’une interdiction, il plaide a minima pour «une taxe comme on a pu le mettre en place aux États-Unis». Washington avait instauré des droits de douane à 120 % en mai, visant les colis venant de vendeurs asiatiques tels Temu, Shein ou AliExpress, désormais réduits à 54 %.
Pour les acteurs du commerce en France, «la menace n’est pas que sécuritaire». «Ces plateformes éludent la TVA, échappent aux droits de douane, contournent les périodes de soldes, violent les règles d’étiquetage et de transparence commerciale», selon la CCF et la CDCF.
4,6 milliards d’envois de faible valeur
Outre les droits de douane américains, la PPL «fast fashion» et les demandes de déréférencement, l’Union européenne tente elle aussi d’endiguer le phénomène. La Commission européenne a récemment proposé d’imposer des frais de 2 euros sur chaque «petit» colis entrant en Europe — actuellement exempté de droits de douane — dont l’immense majorité provient de Chine.
A ce jour, en France, les grandes plateformes asiatiques représentent 22 % des colis acheminés par La Poste, selon le patron du groupe public français, Philippe Wahl, alors qu’elles pesaient «moins de 5 % il y a cinq ans».
Même tendance exponentielle en Europe où en 2024, environ 4,6 milliards d’envois de faible valeur (à 91 % en provenance de Chine) sont entrés sur le marché, un chiffre qui a doublé par rapport à 2023 et triplé par rapport à 2022, s’affole la Commission européenne.