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Libération
Chronique «c'est reparty»

Cuco Cuca : «La nuit a un lien avec la dérive»

Organisateurs, DJ, gérants d’établissements, noctambules, observateurs… Chaque mercredi, «Libé» donne la parole à celles et ceux qui vivent pour et par la nuit. Aujourd’hui, un·e performer trans et hacker queer des nuits underground parisiennes.
Cuco Cuca à Kaos, à l’Electrowerkz, un club punk londonien. (Zbigniew Kotkiewicz)
publié le 14 juin 2023 à 20h06

C’est, littéralement, un oiseau de nuit. Au sens où son nom est le terme espagnol pour désigner le coucou, volatile connu pour squatter à fin de couvées le nid des autres. D’ailleurs, Cuco Cuca se définit comme un·e pirate transgenre, «bad bird» masqué·e, au mode de vie nocturne et dans «une forme de happening permanent». Noctambule depuis sa «naissance» en octobre 2011, autour de la fête des morts, à Mexico, le performer des nuits underground, intégralement recouvert·e d’une peau de latex, est depuis cette date un personnage des fêtes techno queer parisiennes où son apparition est à elle seule un manifeste. «En France, marcher masqué dans l’espace public est interdit», rappelle-t-iel à propos de la loi de 2010 qui prohibe, à quelques exceptions près, de porter dans l’espace public «une tenue destinée à dissimuler son visage».

Mais, insiste l’auteur·e de poèmes sonores politiques (à l’instar de «Vous n’aurez pas nos nuits», mis en son par Gérald Kurdian) aussi le sujet d’un documentaire d’H·Alix Sanyas Mourrier (Herman@s, les Adelphes) diffusé mi-juin à New York au Bush festival et pour la Pride en Roumanie, «ce n’est pas un vêtement. La spécificité de ma transidentité, c’est d’avoir une autre peau. C’est un mélange de hasard et de nécessité, quand je suis né·e à moi-même, je me suis vu·e dans un autre corps. Cela me plaît parce que cette peau s’est imposée d’elle-même et elle est très fragile». Et c’est parce qu’iel a trouvé «une communauté élective» dans le clubbing queer du début des années 10, d’abord autour de Pigalle, puis dans la XIXe arrondissement, que Cuco Cuca souhaite en célébrer la beauté et la force militante.

Ta définition de la nuit

«La nuit c’est la dérive : marcher avant et après une soirée au hasard des rues, seul·e ou accompagné·e, et m’aventurer dans des quartiers. Au début, je n’osais pas prendre le métro, je partais tard à pied ou à vélo. La nuit ce sont aussi des déambulations dans les espaces de fête, d’un niveau à un autre, dans des sous-sols et des caves. Les clubs sont des endroits hétérotopiques ou d’utopie réalisée : c’est là où quelque chose s’invente dans un monde de tous les possibles et où ton identité civile s’efface. On te demande pas forcément ton métier, la classe sociale s’annule momentanément, c’est une forme de renaissance éphémère. En revanche, je ne suis pas un être de l’after, la nuit s’arrête quand le jour se lève. Je suis comme un vampire : je pars en courant avec les premiers rayons du soleil.»

Ta première virée

«La première fois que je suis sorti·e en club, c’était Chez Moune [ancien cabaret lesbien du IXe arrondissement racheté en 2008 par les proprios du Baron, ndlr] pour la Corps vs. Machine. J’y suis allé·e sans connaître personne, il y avait ce mélange de pédés, de gouines et de trans assez original et ça a été un bouleversement de découvrir que je pouvais être reconnu·e, aimable et désirable. Ça a également été un vrai soulagement car j’ai une identité qui peut faire un peu peur, on peut m’aimer mais aussi me rejeter. C’était l’excitation de l’inconnu : une émotion que j’éprouve tout le temps avant d’entrer en club entre le goût de l’échappée et l’envie de raser les murs. J’y ai rencontré beaucoup de belles personnes qui sont devenues mes ami·e·s : Chill Okubo, Guido Minisky, le cofondateur d’Acid Arab, Léonie Pernet ou Dora Diamant, qui n’est malheureusement plus de ce monde, et c’est ce qui m’a ouvert à une ribambelle de soirées : des Wet for me, à la Machine du Moulin Rouge, aux Flash Cocotte à la Trou aux biches, à la Java ou à la Culottée et la Shemale Trouble.»

Ton look

«Je dis souvent que ce n’est pas une tenue mais ma peau et forcément je suis toujours avec. Pour me normaliser dans l’espace public je porte parfois une casquette ou un bonnet. La nuit ou sur le dancefloor, mon apparition ne résonne pas de la même façon, elle est plus fantomatique et inquiétante. En décidant qui j’allais être, je ne savais pas que j’allais être autant lié à la nuit et au monde queer : ça a créé un lien fort et vital avec cette communauté qui m’a accueilli et reconnu.»

Ton lieu

«J’aime beaucoup la Kaos, une fête techno organisée à l’Electrowerkz, un petit club londonien punk, où toutes les générations se mélangent pour danser et atteindre des extases collectives, où un corps commun se crée. C’est queer, pas au sens paillette, mais dans le sens d’une immense tolérance pour la diversité des corps, qu’ils soient jeunes ou vieux. On retrouve un peu cet esprit à Paris dans les soirées Tech noire quand les goths débarquent.»

Ton prochain week-end

«Le vendredi, j’irai à la Dreamachine, organisée à la Station – Gare des mines, une semaine avant la Pride. Ce sera un tour de chauffe avant la Spectrum le week-end suivant. C’est de la techno indus et les soirées ont lieu entre Paris et Marseille. Et puis, on a vraiment la chance qu’un lieu comme la Station existe, où il y a une vraie préoccupation pour l’inclusivité. C’est un lieu de repos de jour pour les exilé·e·s, avec un studio son et des résidences d’artistes. Ce n’est pas seulement un lieu de fête, mais une aventure avec une éthique portée des personnes qui réfléchissent à comment s’améliorer avec une préoccupation pour les tarifs ou la sécurité pour les minorités de genre, toujours menacée. Et nous le sommes jusque dans nos propres lieux, comme on a pu le voir dernièrement, avec une descente de police dans un bar LGBTQI