Peu de livres de recettes sortent littéralement du lot, tant ce marché éditorial produit à la chaîne des montagnes d’ouvrages sur le moindre ingrédient. Recettes de la nature, qui vient de paraître aux éditions Tana, fait figure d’exception, à commencer par son courage politique. L’autrice Jill Cousin, avec la photographe Anne-Claire Héraud, choisissent dès l’avant-propos le parti pris de la lenteur et de la gratuité. «Dans notre monde moderne, marqué par une course constante au productivisme, la chasse, la pêche et la cueillette sont des activités où le temps et la réussite nous échappent», écrivent-elles. S’intéressant à la notion des «biens communs» de la nature et à ses limites, Jill Cousin se plonge dans des textes d’anthropologues et d’ethnologues qui questionnent notre rapport à la chasse (manger ce que l’on tue, tuer ce que l’on mange), se demandant de quel droit nous pouvons exercer cette suprématie sur le vivant. En quoi les fleurs, les poissons ou les animaux sont-ils voués à finir leurs jours sous notre dent ? En quoi pourrions-nous renverser ce rapport de force ?
C’est un livre, mais c’est surtout une promenade, et les photographies reconnaissables entre mille d’Anne-Claire Héraud, spécialiste des paysages de la campagne et du monde agricole, y sont pour beaucoup. La maquette, agréable à l’œil, ajourée de dessins de Darius Chapuis, fait un aller-retour entre des motifs de vaisselle anciens et une grande fraîcheur dans la mise en page. En parcourant les recettes, le lecteur apprend à prélever ce dont il a besoin pour cuisiner directement dans la nature, tout en préservant le paysage et la faune. Les règles sont simples : respecter les zones de cueillette et la réglementation, tout en limitant ses traces humaines. Il n’y a pour ainsi dire pas d’acte d’achat dans ce livre – même si, pour accéder au garde-manger de la nature, il faut déjà pouvoir s’y rendre, ce qui n’est pas donné au plus grand nombre, sans compter que le capital culinaire nécessaire pour reconnaître à l’œil ce qui est comestible. Ce n’est pas un hasard si la plupart des chapitres commencent par des souvenirs de grands-mères… Ce savoir est un capital, mais il est restitué ici, transmis, avec une générosité et une sincérité profondes, et beaucoup de simplicité aussi.
Toutes les recettes qui agrémentent le livre, que ce soit pour apprêter les champignons, les fruits, les baies, le gibier ou les poissons, les fleurs, les algues, ont été rédigées, certes, par des chefs, mais aussi des vignerons ou des artisans (fromagers, fabricants de nectar)… Certaines nous semblent littéralement hors de portée, comme ces anguilles de la Loire au vin doux par le vigneron Jacques Carroget. Pêcher les anguilles et les apprêter n’est pas de tout repos – vous avez l’image de Maïté se battant avec son anguille avant de la déchausser ? Mais c’est là où ce livre fait fort : même si on ne part pas à la chasse au sanglier ou à la pêche à l’anguille, on a quand même envie de flâner dans les images, contempler les ingrédients, et partager cette idée qu’il est encore possible de se nourrir soi-même dans le grand garde-manger de la nature.