Qui l’eut cru ? On pensait les influenceurs célèbres sur les réseaux sociaux dépourvus de conscience morale (à quelques engagements écologiques près), mais voici qu’une nuée de tiktokeurs – 70 au total – s’engage pour le droit des salariés d’Amazon, deuxième employeur privé des Etats-Unis. Ces influenceurs, nés au début des années 2000 et pour la plupart états-uniens, regroupés au sein d’une organisation nommée Gen-Z for Change, rassemblent plus de 51 millions d’abonnés et se révèlent donc particulièrement influents auprès de la jeunesse.
«Des messages de plus en plus viraux»
La campagne «People Over Prime» («les gens avant Prime», du nom du programme de fidélisation d’Amazon) veut alerter les utilisateurs de TikTok sur les conditions de travail des salariés de la société de Jeff Bezos, qui vient tout juste de se voir imposer un syndicat, le premier de son histoire : l’Amazon Labor Union. Les influenceurs engagés refusent de promouvoir des produits commercialisés par la plateforme si elle ne remplit pas un certain nombre d’exigences. Dans une lettre adressée à la direction de la compagnie le 16 août, ils demandent notamment que le salaire minimum soit fixé à 30 dollars de l’heure (environ 30 euros), que deux pauses payées de trente minutes et une pause déjeuner d’une heure soient sanctuarisées, et l’«arrêt complet de toutes les tactiques antisyndicales utilisées par Amazon dans le passé».
Selon le Washington Post, la campagne ne serait pas diligentée par l’Amazon Labor Union, qui ne peut que se réjouir de l’engagement de la jeune génération pour la cause des travailleurs. Le syndicat a lui-même largement utilisé les réseaux sociaux pour faire campagne et mettre la pression sur la direction de la multinationale. Une spécialiste française des réseaux sociaux, qui préfère rester anonyme, constate auprès de Libération que certains sujets d’ordre sociaux ou politiques intéressent particulièrement les utilisateurs des réseaux comme Instagram ou TikTok : «La cause des Ouïghours a été très relayée. La guerre en Ukraine a suscité beaucoup de mouvement, jusqu’à LinkedIn, qui n’est pourtant pas connu pour son engagement. Des ONG commencent à se professionnaliser sur les réseaux sociaux, elles contribuent à rendre des messages de plus en plus viraux. Les bénévoles font ainsi passer des messages. On appelle cela la micro influence : des lanceurs d’alerte ou des associations relayent des informations sur leurs réseaux et peuvent contacter des influenceurs qui vont à leur tour les relayer. Ça ressemble à une toile d’araignée et ça peut prendre pas mal d’ampleur, à l’image de la marque de mode Sézane, qui avait été accusée d’appropriation culturelle [en janvier] par une influenceuse mexicaine et avait dû présenter ses excuses.» Comme Shein plus récemment, Amazon a lancé dès 2017 son Amazon Influencer Program pour fidéliser les influenceurs, qu’elle se propose de rémunérer en échange de la recommandation d’un de ses produits et que le mouvement Gen-Z for Change a mis à mal.
Bien-être des employés
La direction d’Amazon assure que «la santé, la sécurité et le bien-être de [ses] employés sont [sa] priorité absolue». Interrogé par le quotidien américain sur les requêtes du mouvement, le porte-parole d’Amazon, Paul Flaningan, se dit préoccupé par le bien-être de ses employés : «Nous nous engageons à donner à nos employés les ressources dont ils ont besoin pour réussir à créer du temps pour avoir des pauses régulières et un rythme de travail confortable, et à travailler directement avec toute personne qui a besoin d’un soutien supplémentaire pour atteindre ses objectifs. Nous travaillons également en étroite collaboration avec des experts et des scientifiques de la santé et de la sécurité, effectuons des milliers d’inspections de sécurité chaque jour dans nos bâtiments.»
Qu’importent ces déclarations, Emily Rayna Shaw, 24 ans, dont le compte TikTok est suivi par 5,4 millions de personnes, a décidé, comme plusieurs dizaines de ses camarades, d’arrêter de collaborer avec Amazon : «Leur méthode qui consiste à offrir de grosses sommes à des influenceurs pour qu’ils travaillent avec eux tout en refusant de rémunérer leurs employés en coulisse est extrêmement mauvaise. Je veux pouvoir me sentir libre de recommander les produits Amazon à ma communauté lorsqu’ils sont fiables, mais je ne peux pas le faire si je ne sais pas s’ils traitent équitablement leurs employés», a-t-elle expliqué au Washington Post.