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En haut de la pile

Architecture : les joyaux bruts du modernisme libanais

Le très beau livre illustré «Modernist Beirut» célèbre le riche patrimoine levantin issu du courant architectural aux lignes dures et brutalistes, œuvre d’architectes internationaux édifiée de l’indépendance du Liban à la guerre civile.
(Matthieu Salvaing)
publié le 28 septembre 2023 à 10h26

Saviez-vous qu’Oscar Niemeyer, concepteur du siège parisien du Parti communiste français et bâtisseur de Brasília, avait œuvré au Liban ? Peu, même parmi les thuriféraires de l’architecte brésilien, sont au fait de la trace qu’il a laissée en terre levantine, notamment à Tripoli, deuxième ville la plus peuplée du pays. Là-bas, l’architecte-designer communiste, qui a signé plus de 600 bâtiments à travers le monde, fut l’auteur dans les années 60 de l’un des plus importants ouvrages architecturaux modernes du Proche-Orient : la Foire internationale Rachid Karameh.

Inscrit en urgence à la liste du patrimoine mondial en péril de l’Unesco en début d’année, le site est doté d’un bâtiment principal de 750 mètres de long par 70 de large, soit une halle d’exposition en forme d’ellipse. Tout autour, des pavillons de béton, dont celui du Liban avec son péristyle et un amphithéâtre colossal habillé d’un dôme concave, complètent l’ensemble monumental.

Edifices menacés et méprisés

«Des architectes que j’ai rencontrés n’avaient jamais mis les pieds au bâtiment de Niemeyer, nous dit le galeriste Guillaume Excoffier, un temps installé à Beyrouth. Le site est menacé mais a été classé au patrimoine de l’Unesco seulement parce que c’est Niemeyer.» De quoi tirer la sonnette d’alarme, selon ce marchand de design entre Paris et Dubaï, sur la nécessité de préserver le patrimoine architectural moderne du pays, pour l’essentiel bâti après l’indépendance, en 1943, et jusqu’aux prémices de la guerre civile en 1975.

Car la Foire internationale Rachid Karameh n’est pas le seul joyau moderniste du Liban, et encore moins le seul édifice de cette période prospère, à l’instar de l’«Œuf», centre commercial abandonné du centre de la capitale qui a survécu tant bien que mal à la guerre. Ils sont aujourd’hui menacés par la promotion immobilière et restent méprisés. Sans oublier les dégâts que l’explosion du port de Beyrouth, le 4 août 2020, a causés à certains.

Cela valait bien un (très) beau livre illustré, Modernist Beirut, paru le 8 septembre aux éditions Norma à l’initiative de Guillaume Excoffier et du photographe d’architecture Matthieu Salvaing. Il met en valeur l’expression singulière au Proche-Orient de ce courant architectural aux lignes parfois dures et aux déclinaisons brutalistes. «On veut donner une vision joyeuse et pas trop technique du modernisme au Liban, mais aussi porter un regard plus indulgent», poursuit le décorateur.

«Balcons débordants»

«Si on compare aux autres pays de la région, c’est un modernisme international qui a mobilisé beaucoup d’architectes locaux, comme Khalil Khoury, et célèbres, à l’instar d’Oscar Niemeyer, André Wogenscky [disciple du Corbusier, ndlr], Auguste Perret ou Jean Royère [pour les intérieurs, ndlr], énumère l’auteur. On en a plus qu’à Tel Aviv, qu’on appelle pourtant la ville Bauhaus [du nom du courant artistique pionnier du modernisme]. Au Liban, les initiatives étaient privées, il n’y avait pas de plan directeur appliqué à la ville et il existait une moins grande ambition sociale. Ce sont donc de l’immobilier de prestige ou des bâtiments publics et pas des grands ensembles sociaux.»

Parmi la trentaine d’exemples que documente le livre, photographiés par Matthieu Salvaing, citons la Banque du Liban, à Beyrouth, conçue par les Suisses Addor et Julliard en 1963, à «géométrie rigoureuse», l’ancienne galerie de meubles beyrouthine Interdesign, de l’architecte libanais Khalil Khoury, colosse aux volumes bruts achevé seulement en 1997 ou une villa «aux balcons débordants» de l’Espagnol Julio Lafuente à Yarzé, dans la banlieue de la capitale, inoccupée depuis les années 80. Autant d’œuvres qui peuvent guider une ballade architecturale à travers le pays.

Modernist Beirut de Guillaume Excoffier et Matthieu Salvaing, éditions Norma, 320 pages, 95 euros.