Une adresse mail anonyme et cette (petite) annonce : «J’ai des questions à vous poser sur votre table.» L’affiche bleu violette placardée cet automne dans les rues de la capitale par «un étudiant design» avait tout pour intriguer le passant. Derrière ce courriel, Raphaël Journaux, 23 ans, étudiant en architecture d’intérieur – lui préfère «design d’espace» – à l’Ecole nationale supérieure des arts décoratifs de Paris, motivé par un projet de diplôme. «Je mène tout un travail sur la maison, je viens de publier un livre pour enfants, mais je tournais un peu en rond», précise l’illustrateur de Mes maisons archi zinzins, bande dessinée parue en septembre aux Editions courtes et longues avec l’écrivain Arthur Dreyfus.
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Or le Breton – il est originaire de Quimper dans le Finistère, dixit le Télégramme – a aussi une affection particulière pour les tables de toutes obédiences depuis l’adolescence. «Je ne savais pas ce qu’était le design avant qu’on ait des interventions au collège. Et je me suis rendu compte que la table de mes grands-parents agriculteurs avait été dessinée par quelqu’un. C’est un objet du quotidien, qu’on a tendance à oublier tellement il est banal. C’est pour ça que ça m’amuse de le questionner», développe l’étudiant passé l’été dernier par l’atelier de Joep van Lieshout, à Rotterdam. D’où l’idée, après une recherche historique, de collecter des anecdotes – il en recueille encore – sur ce «meuble absolu», souvent hérité, inséparable de la chaise.
«Pour l’instant, j’en ai reçu une trentaine. Une femme m’a par exemple raconté que de sa table basse en inox des années 70, aux rebords arrondis, tombent systématiquement des verres de vin qui tachent son tapis, raconte Raphaël Journaux. Mais elle préfère changer son tapis plutôt que sa table.» De ces récits de table, l’ancien de l’Ecole Boulle tire une deuxième piste de réflexion. «Il y a tellement de tables sur Terre, à quoi ça sert que j’en fabrique une de plus, phosphore le jeune homme. Surtout si on en analyse les usages. J’en ai cinq dans mon salon, c’est pathologique.» De ces recherches il envisage ainsi une création, mais l’«idée est encore floue» sur «les limites» de l’objet-plan.
«Je pensais créer une table qui rassemblerait toutes les fonctions d’un appartement pour pousser le fonctionnalisme au ridicule et au risque de perdre sa fonction première», complète l’étudiant, qui en a déjà conçu deux. La première, une table basse en béton coulé avec son père quand il avait 18 ans, aux parties dépendantes comme «une réconciliation de [leurs] mondes» et la deuxième, l’été dernier, en fibre de verre, inspirée des pattes de son chat. Sinon, Raphaël Journaux est assez fan de la table modulaire de Fritz Haller imaginée pour l’éditeur suisse-allemand USM au début des années 60. «On en a à l’école, elles ont plein de marques de cutter et on y est tellement habitué qu’on oublie qu’elles sont haut de gamme. C’est donc une table réussie car elle très qualitative mais on arrive à en oublier qu’elle est faite pour être snob.»