Au commencement, il y a la fascination du couple pour une matière : le laiton, l’acier poli, l’aluminium ou le polyéthylène. Mais aussi le marbre, le bois, le cuir ou la laine. «Nous aimons les matériaux purs et solides, explique par mail Hannes Van Severen, moitié du duo Muller Van Severen avec Fien, sa compagne. Si vous les coupez, vous verrez toujours le même matériau et sa couleur.» Ensuite, entre en jeu sa malléabilité pour façonner des objets (meubles, luminaires, tapis, vases), aux formes (courbes arrondies ou lignes anguleuses) aériennes et sculpturales mais qui restent fonctionnelles. Enfin, leurs affinités esthétiques dictent les finitions, comme le traitement des surfaces avec des émaux, du vernis ou de la laque.
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«Tout est lié et tout doit être équilibré pour obtenir la bonne présence, poursuit le designer belge. La fonction guide la forme et la forme détermine également le matériau. La couleur détermine une certaine visibilité ou atmosphère.» Voilà pour le processus de création qui donne le design minimaliste, tout en légèreté, du duo flamand installée dans une maison-atelier au nord de Gand.
Nommés designers de l’année, Fien Muller et Hannes Van Severen exposent ce week-end des pièces emblématiques de leurs collections passées et récentes au salon Maison & Objet, à Paris Nord Villepinte, où ils recevront leur prix.
Designers «par accident»
Cette nouvelle distinction, trois ans après une grande exposition à la villa Cavrois, près de Lille (Nord), vient légitimer la renommée acquise ces douze dernières années par le duo, fleuron du design belge, bien au-delà des frontières du royaume. «Ils ont une signature identifiable sur les scènes belge, européenne et internationale, observe Dereen O’Sullivan, responsable du prix du designer de l’année pour le salon parisien. Mais Muller Van Severen, c’est surtout la figure de proue du dynamisme créatif belge en matière de mode ou de design.» Formés aux Beaux-Arts de Gand – lui à la sculpture, elle à la photographie –, où le couple fusionnel s’est lié, les deux quadras sont venus au design sur le tard. Eux disent «par accident», voire «nécessité».
En 2011, plongés dans le réaménagement de leur vieille maison d’Evergem, Fien Muller et Hannes Van Severen imaginent une applique murale en acier ou laiton avec un bras coloré pour éclairer leur table à manger : la Hanging lamp (lampe suspendue). Ce prototype fera partie de leur première série d’objets (une table lampadaire, entre autres) montrés à la galerie Valerie Traan, à Anvers, qui les édite depuis sous le label Valerie_objects. «Avec Fien, nous avions toujours voulu travailler ensemble, mais cela ne s’était jamais concrétisé. Cette expo a été le moment idéal pour changer de support et repartir de zéro, à deux», raconte encore Hannes.
«Meubles-sculptures»
La suite se décline en une succession de «meubles-sculptures», à l’image de l’Installation small (2012), à la fois fauteuil, étagère et lampe, qui répondent parfois à deux ou trois fonctions, dans ce cas s’asseoir et lire à proximité de sa bibliothèque ; ou encore de leurs «lits de jour», sofas ou fauteuils grillagés en acier inoxydable – les Wire S –, réalisés en 2016 pour une villa d’architecte circulaire construite par l’agence du frère d’Hannes Van Severen en Espagne, la Solo house.
Et si leur style, repéré par de prestigieux galeristes ou éditeurs (les Danois Reform et Hay, ou plus récemment Bitossi et le fabricant de textile Kvadrat), rappelle les grandes heures du modernisme tendance De Stijl, un mouvement néerlandais de l’Entre-deux-guerres précurseur du Bauhaus, ce n’est pas sans raison.
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Du côté de Muller comme celui de Van Severen, on baigne dans les arts visuels depuis au moins deux générations, avec des grands-pères et pères peintres ou designers de renom (Koen Muller, Maarten Van Severen) en Belgique. «Ils ont cette capacité à s’imprégner de l’histoire du design et de l’architecture, mais ils ont leur propre grammaire, leur vocabulaire de forme, résume Dereen O’Sullivan. C’est très graphique, quasi photographique et même chorégraphique : on ne peut pas les confondre avec d’autres designers.»
Distribuées en éditions limitées et à des prix peu démocratiques – jusqu’à plusieurs milliers d’euros pour certaines pièces –, leurs créations se veulent surtout indépendantes de l’époque et s’appuient sur le savoir-faire des artisans «dans un rayon de 100 kilomètres» à la ronde. «Nous sommes conscients que les designers sont nombreux et tout ce que nous fabriquons ou faisons pèse d’une manière ou d’une autre sur notre environnement», soulève encore Hannes Van Severen. D’où le choix de matières qui «traversent les générations».