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Les Archives nationales donnent à foire le Salon des arts ménagers

Jusqu’à la mi-juillet à Pierrefitte-sur-Seine, une exposition d’archives photographiques et publicitaires retrace l’épopée de l’événement annuel, né en 1923 pour promouvoir la «modernité domestique» et devenu temple de la société de consommation jusqu’à sa disparition en 1983.
Un stand de parfums du Salon des arts ménagers, en 1932. (Archives nationales)
publié le 26 avril 2022 à 10h55

Une foule compacte se presse entre des stands aux allures (et couleurs, on imagine) extravagantes. La scène, filmée en noir et blanc dans le Grand Palais au beau milieu des années 50, dit tout du succès populaire du Salon des arts ménagers (SAM). A l’époque, plus d’un million de visiteurs arpentent un mois durant (de la mi-février à la mi-mars environ) les travées de cette foire née en 1923 et alors à son apogée. Son but ? La promotion de la «modernité domestique», caractéristique du progrès cher à son fondateur, Jules-Louis Breton, sénateur proche de Jaurès et dirigeant de l’Office national des recherches scientifiques et industrielles et des inventions (l’ancêtre du CNRS) sous l’autorité de laquelle cette foire à inventions est placée.

«La société de consommation en train de se construire sous nos yeux»

Un raout emblématique de la société de consommation, qu’il promeut jusqu’à sa disparition en 1983 – ou plus exactement, son remplacement par un salon réservé aux professionnels, Prodomo, au parc des expositions de Villepinte. Jusqu’à la mi-juillet, les Archives nationales, installées à Pierrefitte (Seine-Saint-Denis), consacrent une rétrospective gratuite et bien documentée à l’événement.

Ne comptez pas y contempler un aspirateur rétro ou le fameux grille-pain SEB, qui ont fait la gloire du salon dans les Trente Glorieuses : l’exposition s’attache plutôt à la fabrique (médiatique autant que publicitaire) du SAM, son imaginaire visuel et ses personnages (visiteurs anonymes, gardiens, démonstrateurs, VRP, vedettes de passage). Elle s’appuie notamment sur le fonds du commissariat général du Salon des arts ménagers (plus de 40 000 tirages photographiques et autres documents, soit 350 mètres linéaires) versé aux Archives nationales par le CNRS en 1985. «Avec le Salon des arts ménagers, on a la société de consommation en train de se construire sous nos yeux. Derrière, il y avait des acteurs industriels, des politiques [comme Valéry Giscard d’Estaing, ministre des Finances de 1969 à 1974, ndlr] et des inventeurs. Les archives permettent de voir cela sur soixante ans», pointe Marie-Eve Bouillon, chargée d’études à la mission de la photographie des Archives nationales et co-commissaire avec Sandrine Bula et Luce Lebart.

«Puissante machine médiatique»

Parmi les thèmes abordés : l’invention de la foire, d’abord envisagée par Jules-Louis Breton comme «un grand concours des appareils ménagers», sa mythification (par la revue les Arts ménagers ou des encyclopédies), la place de la publicité (notamment le rôle des brochures, des catalogues ou des timbres) ou encore l’image aujourd’hui désuète que cette «puissante machine médiatique» a véhiculé des femmes, que l’on disait «libérées» dans la sphère domestique grâce aux inventions de Tefal et Moulinex, avant que cela soit contesté par le mouvement féministe – le MLF notamment – dans les années 70.

En revanche, quasi rien n’est dit sur le rôle de l’événement dans l’avènement d’un design du quotidien. «C’est au salon qu’émerge le design pour les objets domestiques avec la volonté de mettre à disposition du grand public des objets utiles et élégants, explique Marie-Eve Bouillon. Mais on a mis de côté cette question du design et de l’architecture car il y a déjà eu des expositions au centre Pompidou ou au musée des Arts décoratifs.» La rétrospective des Archives nationales a également pour ambition de fournir aux chercheurs de la matière quasi vierge à exploiter, cent ans après la naissance de ce temple du consumérisme.

«Plateau volant, motolaveur, purée minute. Au salon des arts ménagers (1923-1983)», du 5 février au 16 juillet, aux Archives nationales (Pierrefitte-sur-Seine), gratuit.