Ses décors, la plupart du temps réalisés au crochet, sont, pour lui, une façon de travestir l’architecture des lieux festifs. Entendez par là une façon de subvertir les espaces où s’organisent les fêtes qui ne sont au départ pas destinés à cet effet. «C’est un contraste intéressant qui fait aussi écho à la culture queer», précise Paul Clousier, 24 ans. Mais l’architecte-scénographe, résident – entre autres – de la Mustang, soirée gay organisée par le club-restaurant A la folie (XIXe arrondissement), ne se cantonne pas au textile pour ses installations en milieu festif (décors de cabine de DJ ou d’annexes de fêtes, darkrooms, etc).
«J’expérimente aussi avec des ballons de baudruche, des rideaux, du papier bulle ou des bâches plastiques, ajoute le designer, diplômé de l’Ecole nationale supérieure d’architecture de Versailles. Ça fait partie d’une démarche, dans des lieux parfois compliqués, qui répond à toutes sortes de contraintes de prix et de transportabilité.» Inspiré par l’esthétique contre-culturelle, le clubkid a découvert la nuit, ado, dans les free-parties de campagne autour du Loir-et-Cher. Avant d’en connaître le versant gay à Kyoto, puis, à Paris dans les bars de la communauté bear («ours» en français) comme le Bears’Den et El Hombre, où on aime les formes et les poils. «Ce sont des endroits où je me disais que j’allais pouvoir m’intégrer sans me faire rejeter. J’ai songé à m’inscrire à Mister Bear l’année prochaine», affirme Paul Clousier, aussi habitué des raves et fêtes libres dans des squats improvisés.
L'épisode précédent
Ta première virée de nuit
«Je devais avoir 16 ans et j’habitais encore dans le Loir-et-Cher. Ma cousine m’a proposé de m’emmener en free party vers Poitiers ou Limoges, je ne sais plus trop. Elle est venue me chercher chez mes parents, ce sont d’anciens fêtards et on est partis en voiture. Il devait y avoir trois heures de route, on a fait des détours pour récupérer des amis et sur le chemin notre voiture est tombée dans le fossé. On a dû faire venir un tracteur pour l’en sortir. Ensuite, on arrive là-bas, on fait la fête toute la nuit, mais je devais absolument rentrer pour signer les papiers d’admission à l’école d’archi de Versailles, sauf que ma cousine a perdu les clés dans le champ de la free. Mon oncle a dû faire trois heures de route avec le double et un détecteur de métaux. On ne les a jamais retrouvées.»
Un souvenir
«Je me souviens encore de ma première rave parisienne dans un hangar sous le périph. On devait se retrouver à une station de train, les bénévoles organisaient des convois en petit groupe pour ne pas alerter le voisinage. On descendait un grand escalier de béton, on traversait une voie du périph fermée pour travaux, puis un mur défoncé à coups de massue et on arrivait dans un espace gigantesque rempli de bobines et de câbles électriques. La fête était organisée au milieu et c’était vraiment un espace que je n’avais jamais vu auparavant. Tout était couvert de tags, la terre battue faisait de la poussière et une seule porte de trois mètres de haut filtrait la lumière. C’était sublime. J’étais venu avec des cordes de shibari, sauf que la backroom était plus éclairée que le reste de la soirée, et c’est devenu un coin fumeurs. J’y ai quand même fait une performance et c’est comme ça que les organisateurs m’ont proposé de faire leurs scénographies par la suite.»
Ton look
«C’est une extension de mon travail, un présentoir et il est assez polymorphe : je peux alterner les couleurs et les formes. Mais il est fait d’archétypes ou de références récurrentes : les gothiques, les métalleux, les bohémiens et le prolétaire-chasseur du Loir-et-Cher. J’aime bien voir ce qui se passe quand ces archétypes se rencontrent. Je me fabrique aussi de plus en plus de vêtements en crochet. Je pioche dans les pièces qui me plaisent et, en faisant des associations d’idées, je subvertis leur sens. A la dernière Pornceptual parisienne [soirée techno queer, fétichiste et sex-positive créée à Berlin en 2012, ndlr] par exemple, je portais une tenue faite entièrement en chaussettes Adidas cousues entre elles. C’est une façon suffisamment pointue d’invoquer la culture gay, un peu comme le hanky code [système de code couleur gay, généralement des foulards, explicitant les rôles et envies sexuelles], qui peut être comprise par les personnes qui peuvent la comprendre, ce que j’essaye de faire dans toutes mes productions.»
Ton objet
«Les cordes de shibari que je trimballais en soirée pour faire des perfs sur des amis. C’est grâce à cet objet que je suis devenu une figure reconnaissable de la nuit. Le shibari est un pont entre le corps, l’espace et le textile, c’est au cœur de mon travail, mais c’est aussi ce qui m’a permis de m’introduire dans le monde de la nuit.»
Ton prochain week-end
«Je vais passer mon après-midi à préparer la rodoo room pour la Mustang de la Pride. Je ne sais pas encore quel matériau je vais utiliser, mais peut-être que ce sera du papier bulle ou des vêtements. J’aime bien l’idée d’investir à chaque fois le même lieu pour le rendre méconnaissable. Ensuite, j’y passerai la soirée et j’irai peut-être en after au 6B [friche culturelle à Saint-Denis, ndlr] pour écouter Minuit Machine un de mes groupes préférés. Mais je viens de déménager, alors il faut bien que je déballe les cartons.»