Le début du XXIe siècle a eu ses verrines, la fin du siècle dernier ses fagots de haricots. Que ces légumes verts, regroupés tels des brindilles, soient enlacés par une gourmande tranche de lard ou, pour une version plus diététique mais forcément moins séduisante, une tige de ciboulette, leur quart d’heure de gloire est désormais derrière eux. «C’est le genre de plat que ma mère ou ma grand-mère faisaient le dimanche pour les repas de famille, en accompagnement du rôti de porc. C’est une garniture simple et bonne, pas forcément emblématique de la gastronomie française mais qui est quand même marquante. Elle est toujours restée dans un coin de ma tête», raconte le chef étoilé Benoît Potdevin (Le Domaine de la Klauss à Montenach, en Moselle). Charley Breuvart, qui officie, lui, chez Ardent (Paris IXe), s’en souvient plutôt comme «d’un produit de vacances d’été. La saison des haricots verts, c’est de mi-juillet à septembre. Professionnellement, c’est un truc que j’ai connu au début de ma carrière [le cuisinier est âgé d’une petite trentaine d’années, ndlr] et que l’on retrouvait dans les tables traditionnelles».
«Dans les rayons surgelés ou en conserves»
Jean-Paul Acker, à la tête de La Cheneaudière à Colroy-la-Roche (Alsace), se souvient : «On en faisait encore pendant mon apprentissage, de 2007 à 2011. C’est pratique et quand c’est fait avec de bons haricots, un bon lard, une bonne cuisson, c’est une technique simple mais très bonne gustativement. Le côté gras du lard donne envie de manger des haricots, qui ne sont pas toujours très sexy. C’est aussi facile pour le portionnage : on met un fagot par personne.» Or, depuis les années 2010, le fagot de haricots est tombé en désuétude. Simple effet des modes qui se chassent les unes les autres ? Pour Jean-Paul Acker, il faut d’abord chercher du côté de la grande distribution : «Le fagot a été repris par les industriels, on en trouve dans les rayons surgelés ou en conserves [la marque Cassegrain en propose en boîte par exemple, mais sans lard, plutôt avec une herbe aromatique, tandis que les surgelés Thiriet les commercialisent avec du lard, ndlr], ça dévalorise un peu le produit. Si on l’achète tout fait ou qu’on le prépare sans conviction, on le dénigre, surtout si les industriels utilisent des produits de faible qualité et sans proposer d’assaisonnement.» Charley Breuvart abonde : «C’est vrai que le haricot vert le plus consommé en France est celui du Kenya, qu’on trouve en barquettes toute l’année. Alors que le haricot frais français, quand il est travaillé en saison et local, c’est un super produit qui est plein de goût !»
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Pour autant, les haricots verts en fagot ne sont pas forcément voués à disparaître de la scène culinaire – encore faut-il en moderniser la recette pour la rendre moins vieillotte et plus sexy. C’est ce que s’évertuent à faire ces trois chefs. Chez Jean-Paul Acker, on recourt ainsi volontiers à la truffe ou au homard pour anoblir le mets : «L’an dernier, on l’a fait comme une ballottine avec une royale à la truffe qui tenait le haricot ; cette année, je le fais en salade avec des tomates confites, du thym frais et un bouillon au homard.»
«Vinaigrette à la framboise et au sarrasin»
«Je l’ai retravaillé en changeant produits et techniques, car le fagot, c’est quelque chose que j’adore», explique de son côté Charley Breuvart. En lieu et place du lard fumé, le jeune chef utilise de la ventrèche, séchée et salée – «c’est la même partie que la poitrine utilisée traditionnellement», précise-t-il. Les tranches sont plus fines, les haricots travaillés en ballottines de 4 cm de diamètre, très cylindriques et garnies de confit d’oignon. Une fois le fagot monté, il est passé au four très chaud afin de saisir la ventrèche pour «lui faire un peu cracher le gras et le frire légèrement sur les bords». Il peut être servi en garniture mais aussi en entrée chaude. Chez Benoît Potdevin, il a aussi été servi, l’été dernier, en entrée : «Je me suis amusé à le travailler façon salade de haricots mais disposée en beau fagot, avec à l’intérieur, pour rappeler le lard, un Philadelphia légèrement fumé avec des graines de sarrasin grillées. En salle, ils versaient ensuite une vinaigrette à la framboise et au sarrasin. Le visuel faisait un clin d’œil au fagot classique mais on a tous envie d’innover, donc on cherche à faire de nouvelles choses, à avoir des alliances plus marquantes. Même si, ajoute-t-il, on n’invente jamais vraiment rien en cuisine, c’est un éternel recommencement.»