Demandez à un fin connaisseur : il y a spritz et spritz. Le premier, à l’aperol, plus sucré et orangé, est de ce côté des Alpes à la carte d’un nombre astronomique de bars et restaurants, le cocktail italien étant entré dans les mœurs dix ans après sa hype. Les autres, un peu plus recherchés, sont des variantes dont les modes passent et repassent. Il y a la version plus amère au campari, de plus en plus populaire, la déclinaison parisienne au saint-germain, une liqueur à base de fleurs de sureau, beaucoup plus récente, ou encore le spritz à la vénitienne avec un fond de select, aperitivo amer de la cité lacustre. A ces mixtures, ajoutons une dernière, un chouïa plus confidentielle : le spritz au cynar (prononcez «tchi-nar»), autre alcool originaire de Vénétie, mais lui à base d’artichauts.
Digestif sirupeux
Né après-guerre à Padoue de l’esprit des frères Dalle Molle – en 1948 ou 1952, selon les points de vue –, ce spiritueux (16,5°C) ambré est une liqueur d’un mélange audacieux de feuilles d’artichaut et de treize herbes et plantes aromatiques. Le résultat donne un apéritif, qui est aussi bien un digestif, assez doux, sirupeux et mariable à l’envi. De quoi séduire le monde du cocktail en quête d’associations osées, originales ou inédites. L’engouement pour le cynar chez les mixologues contemporains est d’ailleurs déjà ancien. «C’est un produit que nous apprécions particulièrement pour son amertume complexe et ses notes de plantes qui magnifient nos cocktails, souligne par exemple Thomas Codsi, propriétaire de bars à cocktails à Paris. On aime aussi le prendre en shot parce qu’il est à un degré d’alcool assez raisonnable.»
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Au Castor club, établissement du VIe arrondissement reconnu pour ses recettes inventives, cela fait dix ans que celui qui est aussi patron du Reflet a mis l’alcool vénitien à sa carte. Mais la boisson, reconnaissable grâce au dessin d’un artichaut sur son étiquette rouge, jouit ces derniers temps de l’intérêt accru pour l’amertume, au-delà des cercles d’initiés. «Il y a bien un retour en grâce des vieux apéritifs italiens et français en ce moment, et le cynar en fait partie. C’est pour cela qu’on le voit de plus en plus», affirme encore Thomas Codsi. «J’ai toujours utilisé du cynar parce que j’aime bien ça et que ça se marie assez facilement, note pour sa part Alix Duchaud, cheffe du bar Nectar, le restaurant de l’hôtel Maison Mère (IXe arrondissement), où la mixologue propose actuellement une création à partir de cynar, de mezcal, de citron et de sirop de butternut. J’ai l’impression d’en avoir toujours vu dans les bars à cocktail. En revanche, la clientèle sait de plus en plus de quoi il s’agit.»
«Produit assez niche»
Et de compléter : «En France, notre palais n’est pas trop habitué à boire des amers, contrairement à l’Italie. Mais une fois qu’on l’a travaillé, le cynar devient un alcool intéressant.» «C’est depuis longtemps notre shot de prédilection, donc il n’est jamais loin», s’extasie Margot Lecarpentier, la fondatrice de Combat, à Belleville (XIXe arrondissement). «Mais, nuance la mixologue de renom, cela reste un produit assez niche. Le palais des Français n’est pas très amer…» Portée par le campari, le fernet-branca, la suze et depuis deux ans, côté cocktails, le negroni, la vague des breuvages amers fait néanmoins de plus en plus d’adeptes. Une opportunité pour le cynar et ses cousins italiens, les amaros.
«De plus en plus de clients s’intéressent à l’amertume, les gens connaissent déjà le campari et dans mon bar, ils viennent justement pour découvrir ces spiritueux», observe Julie Martin, responsable du bar chez Amaro (IXe arrondissement), spécialisé dans les bitters, leur dénomination chez les anglophones. Et de vanter les mérites du cynar, pas encore monnaie courante dans les étals de la grande distribution : «Il a une très forte teneur végétale, c’est assez cool à travailler, va super bien avec le mezcal et l’orange, ça complète tous ces arômes, ajoute l’ancienne du salon Cocktails Spirits. Et puis, on en a besoin pour des cocktails classiques, comme le Little Italy [du cynar, du vermouth et du whisky, ndlr].» Un incontournable donc.