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Libération
Chronique «la Tireuse»

Brasserie Parisis : dix ans après, «jamais je n’aurais imaginé aboutir à un truc aussi ambitieux»

Reportages, portraits, recommandations… Tous les troisièmes mercredis du mois, la chronique «la Tireuse» de «Libé» vous raconte le monde de la bière. Dans cet épisode la soirée d’anniversaire de l’impressionnante brasserie de Combs-la-Ville (Seine-et-Marne).
La moitié des impressionnantes cuves grises, dont la plus haute fait plus de 5 mètres, a fait le trajet d’Epinay-sous-Sénart, site historique de la brasserie, à Combs-la-Ville. (Antoine Leroy)
publié le 16 novembre 2022 à 20h04

On s’est pointé à une fête un samedi à Combs-la-Ville (Seine-et-Marne), en lisière de l’agglomération parisienne. On célébrait ce soir-là les dix ans de la brasserie Parisis mais surtout l’inauguration de ses nouveaux locaux tout juste sortis de terre. Souvent, pour de logiques raisons économiques ou un souhait de rester en centre-ville, les brasseurs prennent place dans un lieu utilisé auparavant pour une autre activité. Pour la brasserie de la banlieue sud de Paris, qui veut voir les choses plus en grand, il a fallu construire une usine ad hoc.

Lorsqu’on a rencontré pour la première fois l’an dernier ceux qui œuvrent chez Parisis, ils étaient encore dans leur site historique, sur les hauteurs d’Epinay-sous-Sénart (Essonne), situé à une quinzaine de kilomètres de là. Les terrasses allaient rouvrir, on leur demandait comment ils subissaient la crise sanitaire, comment ils voyaient leur futur proche. Au détour d’une discussion, Jonathan Abergel, qui dirige la brasserie, nous raconte son projet de grande envergure, qui devait permettre à Parisis de monter en puissance. De 4 000 à 20 000 hectolitres par an à terme, soit potentiellement l’une des plus grosses productions de bière artisanale en France. Les travaux ont commencé en janvier, pas franchement au meilleur moment avec les prix des matières premières, les galères d’approvisionnement. Mais le bâtiment est là et il fonctionne.

Dix mètres sous plafond

Dès l’arrivée sur le parking, on voit à travers de larges vitres des fermenteurs respirant bien mieux qu’à Epinay. A l’intérieur comme sur la terrasse, il y a du monde ce samedi soir, 200 à 300 pour le gros de la soirée. Quatre de leurs bières sont disponibles en pression – qu’on se sert nous-même, mousse garantie pour ceux qui n’ont pas la main –, notamment une Smash, Pale Ale bien fraîche, ou une Berry Bad Triple à la framboise bien équilibrée.

On passe côté production. Les yeux écarquillés, car la franche lumière et les 10 mètres sous plafond de l’usine permettent de se rendre compte de la dimension dans laquelle entre Parisis. A droite, un skid, bloc de cuves avec sa tuyauterie, et trois cuves d’eau. Sur la gauche, 13 fermenteurs sur deux rangées, qui permettent de faire travailler en tout jusqu’à 530 hectolitres de bière pendant deux semaines en moyenne. La moitié de ces impressionnantes cuves grises, dont la plus haute fait plus de 5 mètres, a fait le trajet d’Epinay à Combs, l’autre est flambant neuve. Quelque 12 000 hectolitres possibles par an. Pour finir ce cycle express de la bière, une ligne d’une quarantaine mètres de long, qui forme un rectangle quasi entier, permet d’embouteiller, d’encapsuler, d’étiqueter et d’encartonner le nectar. Un nouveau calibrage qui s’accompagne d’un modèle économique qui se veut moins porté sur les ventes en grandes surfaces, un peu plus vers les hôtels, restaurants et cafés, démarchés par des distributeurs, car le temps des commerciaux n’est pas extensible.

Un carton de bouteilles sous le bras

Les huit salariés (cinq à la prod, trois commerciaux, avec un objectif de recruter une ou deux personnes d’ici deux ans) semblent heureux de ce nouvel outil industriel. Un espace qu’ils font d’ailleurs visiter à des grappes de personnes, verre à la main, voulant découvrir ce nouvel envers du décor. On y croise aussi Laurent Boiteau, tout sourire. Le patron du groupe Newbeers a racheté la moitié des parts de Parisis en 2020. Et c’est lui qui a permis la construction du bâtiment de Combs, un investissement de 4 millions d’euros dont la moitié pour de nouvelles machines, très souvent italiennes. Le fondateur de Mélusine, bien connue dans l’ouest de la France, et de la bière Hellfest, admire ce nouveau lieu. «Avec Mélusine, on est parti d’un bâtiment existant, qu’on a agrandi, décrit Laurent Boiteau. Mais on arrive aux limites de ce qu’on peut faire. Donc quand on voit un lieu comme celui de Parisis, ça donne un peu envie de repartir d’une page blanche, même si on est très attaché au quartier dans lequel on est.»

Le gros des invités est arrivé. Des amis, des habitués de la marque, mais aussi ceux qui ont construit le bâtiment, ont déménagé les machines («certaines sont passées par le toit», se marre Jonathan Abergel), on discute avec celui qui a installé l’électricité et s’apprête à repartir avec un carton de bouteilles sous le bras. Le maire de Combs est également passé. Les concerts ont commencé dans l’espace qui dans quelques mois abritera un bar, où l’on pourra boire des bières qui n’ont fait que quelques mètres de trajet. Cette activité créera un nouvel emploi à temps plein, car Epinay ne permettait que la production et la vente directe. «Quand tu as un bar et que les consommateurs peuvent boire sur place, tu partages avec eux. Et c’est un peu un rêve d’étudiant d’en ouvrir un», sourit Jonathan Abergel, 36 ans. Il poursuit : «Jamais je n’aurais imaginé aboutir à un truc aussi ambitieux il y a dix ans. Et en vérité je suis là où je veux être actuellement. Mais c’est aussi un peu l’angoisse, j’ai toujours eu l’habitude de courir derrière un projet.»