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Libération
Les raisins de la colère

Cuvée «Caisse de grève» : «Avec la réforme des retraites, les paysans seront doublement pénalisés»

Le vigneron Paul Chabal, installé à Uzès dans le Gard, a créé une cuvée de merlot et de syrah dont les profits seront reversés à une caisse en soutien aux grévistes contre la réforme des retraites. Une initiative qui s’inscrit dans la longue tradition de ceux et celles qui «nourrissent la grève», au sens littéral.
Cuvée Caisse de grève de Paul Chabal. (DR)
publié le 7 mars 2023 à 9h00

Dans son ancienne vie, Paul Chabal, 34 ans, vivait à Paris et travaillait dans la musique «avec un statut précaire, en tant que DJ et salarié d’un bar». Surtout, il militait. Beaucoup. D’abord contre la loi travail El Khomri en 2016, laquelle a déclenché le mouvement Nuit Debout auquel il a participé, puis contre les ordonnances Macron sur la loi travail en 2018. Mais depuis un an, Paul Chabal a changé de vie : il est désormais vigneron et ouvrier viticole dans le Gard, à Uzès, où il partage cinq hectares avec deux autres vignerons, Thomas Bouet (Domaine des Magesses) et Sébastien Chatillon (Domaine Ad Vinum). Ils n’ont pas de domaine commun mais réalisent une partie de leur travail collectivement : «On fait trois cuvées ensemble, un rouge, un blanc et un rosé.» Il y a deux semaines, ils ont créé spontanément «Caisse de grève», une cuvée de rouge tirée à 200 bouteilles et dont les profits seront reversés à la caisse de grève de la CGT.

Ton ferme

«J’avais envie de faire cette cuvée parce que je suis concerné et impliqué politiquement, mais en tant qu’ouvrier agricole et vigneron, je n’ai pas trop de prise sur le mouvement. Je vends les cuvées en direct, en faisant du bouche à oreille, sur les réseaux sociaux…» dit-il au téléphone. L’étiquette, inspirée de l’iconographie de Mai 68, a été dessinée par un ami graphiste, qui préfère rester anonyme. Si Paul Chabal reste policé en interview, sur son compte Instagram, le ton est plus ferme : «Macron incarne, avec une violence inédite en France, la logique néolibérale, la défense des intérêts des plus riches, déterminés à détruire toutes les formes de solidarité et tout ce qui peut faire obstacle à l’exploitation sans frein des humains et de la nature. Il apparaît aujourd’hui clairement que cette réforme n’a jamais eu pour objet de pérenniser le modèle de répartition mais seulement de nous imposer d’user un peu plus nos vies au travail pour protéger les rentes et subventions offertes au capital.»

Nourrir la grève

En France, la retraite des paysans est très faible : entre 800 et 1 200 euros par mois en moyenne. En préambule de la proposition de loi sur la réforme des retraites du 25 janvier 2023, il est même écrit que la «pension mensuelle moyenne des retraités de droit direct affiliés à titre principal au régime des non-salariés agricoles s’élevait à 800 euros par mois en 2020, contre 1 510 euros pour l’ensemble des retraités de droit direct». Pour Paul Chabal, le nouveau projet de réforme est un recul : «Les paysans et ouvriers agricoles, souvent avec des carrières incomplètes, ayant travaillé avec des sous-statuts voire sans être déclarés, seront doublement pénalisés», écrit-il sur son compte. Pour tous ceux et celles qui n’ont pas une carrière complète, espérer atteindre les 1 200 euros mensuels est un graal inaccessible – d’où la volonté de faire quelque chose, même de loin, avec cette cuvée spéciale. Il faut dire que nourrir la grève par la vente d’aliments avant ou pendant les manifs est issu d’une longue et belle tradition, comme Libération l’avait relaté dans ce reportage daté de 2020 : les saucisses, pâtés, vin chaud et autres nourritures revigorantes remplissent à la fois les estomacs et les syndicats.

Quant à la cuvée de Paul Chabal et de ses amis, il s’agit d’une «macération de merlot d’une semaine et de syrah en presse directe. Je dirais qu’il ne faut pas la boire tout de suite, c’est une cuvée de garde, très structurée, avec des tanins présents et une bonne intensité colorimétrique, sans intrant, sans soufre». A boire dans un an, quand la réforme ne sera plus qu’un vieux cauchemar ?

Pour se procurer un exemplaire de la cuvée Caisse de grève (15 euros), il faut contacter Paul Chabal sur son compte Instagram, Volatilosse.