Faites le test autour de vous. Demandez aux gens d’énumérer des mets typiquement argentins. A coup sûr, la première – et unique – réponse sera la suivante : le bœuf, sous toutes ses déclinaisons (filet, faux-filet, bavette, entrecôte), grillé et agrémenté d’une sauce chimichurri. Et pour cause, les Argentins, c’est bien connu, font partie des peuples les plus viandards en raison d’une consommation annuelle par personne (en 2021) estimée à 109,4 kilos, dont un peu moins de la moitié de viande bovine, derrière les Américains (124 kilos) et les Australiens (121 kilos). Et ce malgré une baisse continue ces quinze dernières années sous l’effet de la crise, de l’inflation et donc de l’augmentation de la pauvreté dans le pays sud-américain.
Les plus aventureux ajouteront au traditionnel «asado» les empanadas, chaussons fourrés au fromage, au jambon, à viande ou au maïs, les milanesas (ou «milanaises»), tranche de bœuf panée, voire le choripan, sandwich de rue à la saucisse. Le tout agrémenté d’un bon malbec ou cabernet sauvignon, embouteillé à Mendoza, province australe incontestée du pinard, même si là encore le vin est sur les tables argentines en déperdition face à la bière. Peu, en revanche, oserons affirmer que la patrie de Diego Maradona et Lionel Messi a d’autres cordes à son arc culinaire et, notamment, une gastronomie innovante et créative, qui fait aussi la part belle au végétal, bref, ancrée dans le XXIe siècle.
Stéréotype tenace
Pourtant, la première sélection de restaurants à Buenos Aires et Mendoza par le guide Michelin, dévoilée vendredi 24 novembre – il s’agit, au passage, d’une première pour un pays sud-américain –, devrait permettre d’écorner le stéréotype tenace d’une cuisine rioplatense quasi exclusivement tournée vers la viande de bœuf. Parmi les 71 adresses récompensées par le prestigieux guide gastronomique français, dont six étoilés et un double étoilé – du chef Gonzalo Aramburu –, quatre établissements porteñes plus ou moins récents revendiquent ainsi une cuisine végétarienne, voire végane.
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Citons : Chuí (dans le quartier de Villa Crespo à Buenos Aires), dont on a pu personnellement apprécier les asperges sur leur purée de haricot blanc et les pizzas véganes à la patate douce, le cosy Marti (Recoleta), fidèle à la maxime «on ne tue pas les animaux» et qui produit ses propres champignons pour en faire une shawarma ou encore Sacro (Palermo), renommé pour ses cocktails et une cuisine fusion, qui mélange les saveurs latinoaméricaines et asiatiques. A ces tables, il faut ajouter les restaurants promoteurs d’une gastronomie durable, de saison et ancrée dans un terroir.
Pâtes, gnocchis et pizzas
On pense ici à Riccitelli Bistró, installé dans un domaine viticole, au sud de Mendoza, et récipiendaire d’une étoile verte où le chef Juan Ventureyra donne le premier rôle aux légumes du potager du vignoble dans l’assiette. «Nous ne sommes pas un restaurant végétarien, mais Mendoza est une province qui produit de sublimes légumes et c’est notre spécialité, plaide dans le guide le jeune cuisinier, «collectionneur de graines biodynamiques». Notre cuisine est imprégnée par l’âme locale et nous produisons également nos propres semences, ce qui nous a permis de cultiver 84 variétés de tomates.» Le fin gourmet fera néanmoins remarquer qu’il s’agit ici de la crème de la crème, peu représentative de la cuisine populaire.
Reportage
Mais c’est oublié que la gastronomie argentine est historiquement le produit de ses vagues d’immigration – européennes, levantines et sud-américaines – ainsi que les traditions natives, depuis la fin du XIXe siècle. Rien d’étonnant à ce que des plats très communs soient en fin de compte des pâtes fraîches, des gnocchis, des pizzas, des tartes à la citrouille ou aux blettes, des humitas (plat au maïs andin), des ragoûts de quinoa ou lentilles, des omelettes pomme de terre, etc. Et que les restaurants du pays, par ailleurs obligés par la loi, de disposer d’options sans gluten pour les personnes cœliaques, sont de plus en plus accueillants pour les non carnivores. Voire, comme à Buenos Aires et dans les grandes villes, revisitent la tradition culinaire par le biais du végétal. Loin des clichés d’un pays carnassier.