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Mobilisation

Jacques Marcon, Glenn Viel… Les chefs cuisiniers s’élèvent contre la loi Duplomb

Dans le sillage du trois-étoiles Jacques Marcon, la profession, peu prompte à prendre position sur des sujets politiques, se mobilise contre le texte. «Nous faisons ce métier pour nourrir, pas pour empoisonner», écrivent notamment les signataires d’une tribune publiée dans «le Monde» ce jeudi.
Lors d'une manifestation contre la loi Duplomb à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), le 27 mai 2025. (Sadak Souici/Sadak Souici/ZUMA-REA)
publié le 24 juillet 2025 à 11h04

Les chefs rechignent souvent à exposer leurs opinions politiques. La loi Duplomb fait sortir de son silence la profession, qui se mobilise pour demander son retrait, au nom de la défense des terroirs et de la qualité des produits. Tout est parti début juillet d’une photo d’un pré d’herbes sauvages du mont Mézenc (Haute-Loire), publiée sur Instagram par le très discret chef trois étoiles Jacques Marcon… Accompagnée d’un texte cinglant, adressé au sénateur Laurent Duplomb, rapporteur de la loi éponyme. «Avec cette loi, vous vous êtes érigé en porte-parole de l’industrie agroalimentaire qui privilégie une agriculture intensive et néfaste pour les générations futures», écrit le chef. Son texte a été largement partagé par des restaurateurs sur les réseaux sociaux.

La loi Duplomb prévoit notamment la réintroduction à titre dérogatoire de l’acétamipride, pesticide de la famille des néonicotinoïdes – interdit en France mais autorisé en Europe. Plus de 1,8 million de Français ont déjà signé une pétition demandant son retrait.

«Nourrir, pas empoisonner»

Après sa prise de parole, une tribune, publiée ce jeudi dans le Monde, a été lancée pour fédérer les mécontents de la profession, à l’initiative d’Ecotable, qui accompagne les restaurateurs vers plus d’éco-responsabilité. Elle réunit déjà près de 400 signatures, des étoilés aux cantines, en passant par des bistrots et des collectifs de restaurateurs-paysans. Parmi les chefs signataires, Mauro Colagreco, Olivier Roellinger, Chloé Charles ou Manon Fleury.

Intitulée «Nous, restaurateurs, faisons ce métier pour nourrir, pas pour empoisonner», elle dit l’inquiétude des cuisiniers et acteurs de la restauration face à la qualité des produits servis et demande le retrait de la loi Duplomb. «Nous avons bien conscience des difficultés que rencontrent les producteurs français au quotidien», nuance le texte, qui reconnaît des agriculteurs «tiraillés par la rentabilité de leur métier et les demandes citoyennes croissantes à sortir du productivisme».

Interrogé par l’AFP, Glenn Viel, chef trois étoiles, a également fait savoir son opposition. «Je ne comprends pas [cette loi]», affirme-t-il, dénonçant «les pesticides qui polluent notre terre» alors que «l’alimentation a une grande part [de responsabilité] dans les cancers». «On a la capacité de mettre des milliards dans la défense de notre pays. Et c’est normal», poursuit le juré de Top Chef. «Est-ce qu’on ne pourrait pas trouver un milliard ou deux pour nos agriculteurs, pour les aider à faire cette transition [écologique] ?»

Pour Marie-Victorine Manoa, jeune cheffe autrice et chroniqueuse dans l’émission Très très bon !, cette loi a été un «coup de massue». «Cuisiner des produits médicamentés et stériles n’excite personne», grince celle qui appelle à la «rébellion générale».

Sursaut rare

Un sursaut encore timide mais rare, dans un milieu qui met en avant la qualité des produits et les circuits courts mais peu prompt à se mobiliser comme lors de la crise des agriculteurs, en 2024. Les chefs «sont des personnes qui ne prennent pas souvent la parole mais l’alimentation, c’est leur quotidien», explique Fanny Giansetto, fondatrice d’Ecotable. «Nous les restaurateurs, on est plutôt des besogneux, on ferme notre gueule et on avance. Mais à un moment, il faut taper du poing sur la table», estime Glenn Viel.

Versant dans l’autocritique, Jacques Marcon se dit «aussi responsable de cette loi rétrograde» et prêt à devenir «un vrai militant de la cause agricole et de la cause environnementale». Mais il enjoint aussi tout un milieu «à se remettre en question», à «aider» les agriculteurs. Celui qui revendique son lien avec le monde paysan déplore certaines pratiques, à l’instar de chefs qui font pression sur les prix, ou l’abandon de races bovines comme la salers, au profit du japonais wagyu ou du bœuf australien. Malgré une jeune génération qui a davantage «envie de changer le monde».