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Tu mitonnes

La bûche de Noël voit la vie en rose

Tu mitonnes !dossier
Chaque jeudi, passage en cuisine et réveil des papilles. Aujourd’hui, le fameux biscuit de Reims rappelle à notre aminche Manu Pierrot les noëls de son enfance. Avec en guest star la petite Juliette.
(emmanuel pierrot/Libération)
publié le 14 décembre 2023 à 16h52

Papa est fort, papa est endurant. Marius monte la côte de Monnières en appuyant dur sur les pédales de son vélo Hirondelle. Juliette l’admire, assise sur le porte-bagage bien au chaud dans sa pèlerine. Sa mère, Marie, a entouré autour de son cou un épais cache-nez de laine verte. C’est elle qui a eu l’idée de les envoyer en ville pour découvrir les décorations de Noël. Du fond de son lit où elle doit rester coucher jusqu’à la naissance de son deuxième enfant, elle a répété cent fois mille recommandations : «Tu t’accroches bien à Papa sur son vélo» ; «Tu lui tiens la main en ville»…

Eau gelée

Marius sourit par cette belle journée d’hiver où il atteint enfin le sommet de la côte. Le ciel est d’azur sous le blanc soleil de décembre. Le givre fait briller les vergers et les pâtures. Encore 5 kilomètres et ils atteignent les faubourgs de la ville. C’est la première fois que Juliette découvre ces alignements de cités en brique dont les cheminées fument le charbon comme les locomotives du PLM (Paris-Lyon-Méditerranée). Elle n’imaginait pas que l’on pouvait vivre ailleurs que dans une maisonnette, perdue au milieu des bois, collée à la voie ferrée. Quand ils enjambent le pont du canal, elle frémit en regardant une bande de garçons braillards s’égayer sur la glace. Se peut-il que l’on puisse ainsi glisser sur l’eau gelée ? «C’est dangereux, tu sais», lui dit Marius, essoufflé par les 20 kilomètres qu’il vient de parcourir sur son Hirondelle. Il la range à la gare dans un local des cheminots où les accueillent Robert et son chauffeur, qui leur font signe quand leur locomotive passe au niveau de la maisonnette. Robert hisse Juliette au niveau de ses épaules en l’embrassant tendrement. Il sent la bière, le charbon et le tabac. «C’est la première fois que tu viens en ville ma petiote, il faut que tu fasses un vœu.» «Un vœu ?» demande Juliette en regardant son père. «Tu penses très fort à quelque chose et ça arrivera peut-être.» Juliette ferme les yeux. Elle se dit «Je veux un petit frère pour Noël.» Robert lui donne la pièce. Elle rougit de plaisir.

Guirlandes

Elle se sent toute petite devant les grosses maisons en meulière et les platanes qui conduisent au centre-ville. Ils descendent une rue pavée où embaume par la porte du «Pied de cochon» un déluge de charcutailles fumantes sur un lit de choucroute. Puis il y a ces boutiques aux vitrines de bois vernis où scintillent les bijoux, où des mannequins plus vrais que nature portent de longues robes de soirée. Elle n’en revient pas de ces femmes qui portent des manteaux de fourrure d’animaux morts, juchées sur des talons aussi fins que le petit bois qui allume la Godin. Même les hommes sentent le parfum. Elle a le tournis quand ils débouchent sur la place de l’hôtel de ville où s’entasse une forêt de sapins de Noël et s’alignent des baraques en bois où scintillent boules, guirlandes, où les santons font des troupeaux de miniatures naïves dans de drôles de petites étables en bois. Sur un lit de mousse, il y a un homme et une femme penchés sur un nouveau-né dans son berceau de paille, entourés d’un bœuf, d’un âne, d’un mouton. «C’est quoi ?» demande Juliette. «Une crèche», souffle son père. «C’est comme une ferme.» «Si tu veux.» «C’est qui eux ?» «Jésus et ses parents, Marie et Joseph. Le bébé est né le jour de Noël.» «Comme mon frère qui va venir !», s’exclame Juliette. «C’est ça», dit Marius. «Oui mais lui, il ne dormira pas dans l’étable», se rassure la petite fille. «Oh que non», sourit Marius qui entraîne Juliette vers le fond de la place. Il est pressé d’en finir avec ces bondieuseries. Pour lui, Dieu et tout le tintouin n’existent plus depuis qu’il a vu la tête du sergent Maheux éclatée comme une courge trop mûre, emportée par un obus boche. Parfois, la nuit, la scène lui revient, il se pince les lèvres jusqu’au sang pour ne pas hurler de terreur et de tristesse.

Meringue

Juliette est campée devant la vitrine de la pâtisserie où elle est hypnotisée par le décor en chocolat, meringue, sucre filé et pâte d’amande où un père Noël hilare et grassouillet a les bras chargés de cadeaux sur son traîneau tiré par les rennes. Marius pousse la porte, Juliette a un léger mouvement de recul. Elle ne s’imagine pas entrer dans un tel antre de merveilles. «Viens, Juliette, tu vas manger un gâteau et je vais boire un grand café.» Une serveuse collet monté les a installés à une table au fond du salon de thé à l’écart des regards. Il faut dire qu’ils détonnent dans leurs habits simples par rapport à la clientèle emperlousée. Juliette a choisi une petite bûche décorée de champignons en meringue et de feuilles de lierre en pâte d’amande verte. Quand elle tranche le premier morceau, Marius reconnaît l’intérieur : les biscuits roses de Reims qu’on leur distribuait pour le menu de Noël des poilus. Certains les trempaient dans leur quart de vin. D’autres les grignotaient, songeurs, le regard perdu dans la brume, le givre de la ligne de front et les souvenirs de Noël heureux.

Cathédrale

Marius sirote son café à petites gorgées. Il se souvient de la cathédrale de Reims bombardée par les Allemands le 19 septembre 1914. Ils avaient déambulé muets avec son sergent parmi les pierres calcinées de ce chef-d’œuvre d’art gothique devenu un affreux squelette de ruines. Maheux avait juste dit : «C’est le début du pire.» Marius a acheté un sac de biscuits roses pour Marie et ils ont pris le chemin du retour vers l’ouest rougeoyant. C’est sûr, la nuit serait très froide. Marie les a accueillis dans la chambre par un «Je me faisais du souci. Vous en avez mis du temps». Marius l’a embrassée tendrement en songeant : «Des temps comme ça, c’est inoubliable.»

La recette de la bûche de biscuits roses

C’est l’aminche Manu qui a proposé la recette de bûche de biscuits roses. Il la confectionnait enfant et adolescent pour Noël avec des biscuits de la maison Fossier créée en 1756. Il en a retrouvé la recette sur le site Marmiton avec la «bûche rose de Noël d’Edith». Pour huit personnes, il vous faut 25 g de sucre glace ; 3 cuillères à soupe de rhum ; 200 g de chocolat noir ; 120 g de crème fraîche ; 130 g de beurre ; 100 g de sucre en poudre ; 36 biscuits roses de Reims ; 125 g d’amandes en poudre ; 2 œufs.

Pour la bûche : écrasez les 36 biscuits roses et mettez la poudre obtenue dans un grand saladier. Ajoutez la poudre d’amande et mélangez le tout puis ajouter le sucre en poudre et mélangez de nouveau.

Faites fondre le beurre à feu doux (laisser 10 g de côté pour le glaçage) et lorsqu’il est fondu, versez-le doucement d’une main dans le mélange biscuit-amande-sucre tout en mélangeant à la fourchette de l’autre main. La préparation s’humidifie un peu en commençant à former des boulettes.

Ajoutez maintenant la crème fraîche en deux fois et en continuant de mélanger à la fourchette. La pâte s’humidifie de plus en plus.

Cassez les œufs en réservant les blancs. Versez les deux jaunes dans la préparation et mélangez. Ajouter le rhum et mélangez de nouveau. Battez les blancs en neige et ajoutez-les. Mélangez encore. Préparez un plat en longueur et formez la bûche sur ce plat, à la main. Laisser refroidir la bûche deux heures au réfrigérateur.

Pour le glaçage :

Faites fondre à feu doux le chocolat dans une casserole, avec le beurre restant, quelques gouttes d’eau et un peu de sucre glace. Etalez doucement le chocolat à la fourchette sur la bûche rose afin de former une «écorce», en laissant les deux extrémités roses visibles.

Saupoudrez la bûche avec un peu de sucre glace pour décorer. Puis laissez de nouveau la bûche au réfrigérateur quelques dizaines de minutes afin que le glaçage durcisse.