Il n’y a pas de cuisine chinoise mais des cuisines chinoises, aussi nombreuses et variées que ce pays-continent peuplé de 1,4 milliard d’habitants. Longtemps, pour nos papilles, était chinois un gloubi-boulga vernaculaire où se mélangeaient les saveurs du Vietnam, du Laos, du Cambodge. On n’était pas regardant sur les spécificités nationales et régionales pourvu qu’il y ait des nems et du riz dit cantonnais. Comparaison n’est pas raison, mais c’était un peu comme si un touriste débarquait en France et ne faisait pas la différence entre les terroirs du comté, de l’abondance, du crottin de Chavignol et du maroilles. On allait «au chinois» comme on va «au grec» alors qu’il est turc ou kurde. Et puis la Chine traînait encore une réputation de crève-la-faim après la grande famine (36 millions de morts entre 1958-1961) causée par le «Grand Bond en avant» décrété par Mao Zedong. Alors, il aurait été indécent de parler gastronomie avec une diaspora chinoise que l’on confondait sans vergogne avec les boat people de la péninsule asiatique.
«Travers de porc à l’aigre-douce»
Pourtant, l’immense culture culinaire chinoise n’a pas attendu le best-seller d’Alain Peyrefitte (1925-1999) Quand la Chine s’éveillera… le monde tremblera (1) publié en 1973 pour faire connaître ses goûts au monde. Ainsi dans leur somme Chine, le livre de cuisine (2), Kei Lum Chan et Diora Fong Chan expliquent : «A partir du milieu du XIXe siècle, avec l’émigration étendue des Chinois vers l’Asie du Sud-Est, l’Europe, les Etats-Unis et l’Australie, la cuisine chinoise s’adapta à ces nouvelles patries et incorpora des ingrédients locaux. Canton (aujourd’hui Guangzhou), dans le sud de la Chine, fut l’épicentre de cette émigration, ce qui explique que les plats de cette région sont les plus familiers au palais des Occidentaux (tels que les travers de porc à l’aigre-douce ou le crabe au gingembre et aux oignons). Toutefois, les autres provinces chinoises se joignent, elles aussi, à cette mondialisation : à Manhattan, l’on fait la queue pour déguster les nouilles au couteau du Shanxi, tandis que les bouchées juteuses au porc de Shanghai, “xio long bao”, ont leurs adeptes à Sydney.» Des vallées des grands fleuves Yangtsé et Huang He aux steppes de la Mongolie intérieure, le climat et la topographie ont façonné les huit grandes cuisines régionales chinoises, dont on découvre peu à peu les contrastes à la faveur notamment des blogs, des réseaux sociaux, de chef et cheffes soucieux de transmettre leur patrimoine culinaire et de la multiplication des commerces où l’on peut se procurer des ingrédients autrefois introuvables en France et qui permettent d’exprimer toute la diversité des cuisines chinoises.
«Soupe au melon d’hiver»
«Le style de la région côtière du Nord-Est se distingue de manière notable des plats préparés à l’intérieur des terres de la Chine centrale, qui sont eux-mêmes à mille lieues des saveurs de Taiwan et de Hongkong», écrivent Kei Lum Chan et Diora Fong Chan. Plus fascinant encore est le fait que chaque région se caractérise par une saveur distincte : «Salée pour le Nord (Shandong), aigre pour l’Est (Anhui, Jiangsu et Zhejiang), délicatement sucrée pour le Sud (Guangdong et Fujian) et très relevé pour l’Ouest (Hunan et Sichuan).»
Enfin, comme toutes les nourritures du monde, la cuisine chinoise, c’est beaucoup plus que des milliers de recettes, c’est aussi une affaire de sentiments, de partage, comme le soulignent si bien Kei Lum Chan et Diora Fong Chan : «La préparation de plats, par exemple une soupe au melon d’hiver proposée en guise de tonifiant, ou de boulettes frites sucrées aux graines de sésame offertes en cadeau, constitue un plus grand gage d’affection qu’une accolade ou un baiser.»