Dieu a inventé les crêpes pour les dimanches soir. Ceux quand résignés, on n’a pas envie de sortir l’artillerie lourde culinaire. Non juste de la farine, du lait, un œuf, du beurre ou de l’huile, du sucre si cela vous chante. Pour la galette de sarrasin, c’est encore plus humble : de la farine de blé noir, de l’eau, du gros sel, et fouette gâte-sauce ! Et n’allez surtout pas nous dire que c’est de la roupie de sansonnet cet attelage. Oh que non. D’abord, c’est pas du rogaton industriel transformé. Que des ingrédients de base et la souplesse du poignet qui fait le boulot quand il faut mélanger puis faire sauter la crêpe dans la poêle. En plus d’être gourmande avec une petite bruine de vergeoise (notre préférée), comme avec une flopée de confitures, de miels, de fromage, de charcutaille, de fruits secs…, la crêpe et la galette sont de remarquables «alicaments» contre le blues de la fin du week-end, un générique joyeux avant le film télé ou la série Netflix, un onguent contre les plaies anciennes qui nous chatouillent dans la vacuité du dimanche soir.
Ce qui fait aussi la force de ce mets si simple, c’est son universalité : la crêpe est de partout, injera en Ethiopie, blinis en Russie et en Ukraine, pancake en Amérique, beghir en Algérie, crêpe de Chine du Nord, chorreadas au Costa Rica, plättar en Suède, galette de Haute-Bretagne (ah, la révélation de la première galette saucisse au marché des Lices à Rennes…), c’est une histoire universelle de céréales moulues, d’eau ou de lait que l’on va cuire dans la poêle ou sur le billig du côté de Carhaix (Finistère) et garnir de succulences salées et sucrées. Elle saute les frontières, fait la nique à l’endogamie culinaire quand de crapiaux paysans (crêpes épaisses agrémentées de lard) morvandeaux, elle s’installe sous les ors des gastros rupins pour faire la Suzette flambée au Grand Marnier en salle comme il se doit.
Et puis songez-y, la crêpe, c’est un peu le Kamasutra de la bouffe ; on peut la manger dans toutes les positions : vautré sur le canapé, assis sur un rocher de Cancale en contemplant la baie du Mont-Saint-Michel, le nez au vent sur les grands boulevards, l’estomac un peu retourné après les montagnes russes de la ducasse d’Arras. Et puis franchement à deux, c’est encore mieux de la mordre avant de se rouler une galoche, le palpitant retourné comme une crêpe.