Idir est arrivé dans le brouillard givrant, le long de la voie ferrée. Imposante silhouette dans sa pèlerine d’ancien tirailleur algérien. Là, il ne pense pas à la guerre qui le hante si souvent dans la solitude du baraquement où il habite depuis son embauche au PLM (Paris-Lyon-Méditerranée). Non, il songe aux premières neiges qui ont dû tomber sur les montagnes du Djurdjura de sa Kabylie natale. Il se souvient de la kesra, le pain kabyle encore chaud que confectionnait sa mère et qu’il dévorait avec le miel des ruches de son grand-père. Il ne sait pas si c’est le froid ou davantage l’émotion qui lui serre le palpitant. Il en crache sa chique de tabac sur un rail.
Etang de la Crochère
Quand Marius lui ouvre la porte de la maisonnette, il est saisi par la chaleur de la Godin qui brûle du chêne coupé il y a deux ans. «On a eu -14 cette nuit», lâche Marius en guise d’accueil. Juliette se serre contre la cuisse de son père. Elle regarde, mi-intriguée mi-inquiète, ce grand échalas inconnu qui lui sourit : «C’est Idir, dit son père. Je vous en ai parlé, à toi et à maman. Il travaille à la voie avec moi. Même que je t’ai montré sur la carte de l’almanach là d’où il vient.» Juliette se souvient du doigt jauni par le tabac de son père traversant le bleu de la Méditerranée pour atteindre l’Algérie sur le papier. «C’est grand comment la mer ? Comme l’étang de la Crochère ?» avait-elle demandé. Son père avait éclaté de rire : «Des milliers de fois comme la Crochère. — On ira un