Bois, métaux, plastique, papier, composants électroniques et maintenant… graine de moutarde. L’ingrédient indispensable à la confection de la célèbre moutarde de Dijon s’ajoute à la longue liste des pénuries de matières premières dans l’Hexagone. En cause : la sécheresse historique liée au dérèglement climatique qui a touché le Canada cet été. Car du Grand Nord américain à la Bourgogne, il n’y a parfois qu’un pas. Le Canada produit en effet plus de 80 % des graines de moutarde utilisées en France. Or, «pour 2021-2022, la production a chuté de 28 %, en raison de la baisse des rendements et de la superficie ensemencée», peut-on lire dans un rapport du ministère canadien de l’Agriculture publié fin novembre. «Par conséquent, le prix moyen devrait doubler par rapport à 2020-2021, et s’élever au niveau record de 1 700 dollars ([ 510 euros, NDLR] la tonne», ajoute le ministère.
Pour les producteurs français – le secteur est dominé par Amora Maille qui détient les deux tiers de la production du pays –, l’addition est salée. Chez le moutardier Reine de Dijon, l’usine fonctionne au ralenti, la production ayant baissé de 50 % face au manque d’approvisionnement. «Il y a aussi le problème de coût des emballages qui augmente de façon exponentielle, avec une hausse de 40 % pour les capsules métalliques des pots, plus de 12 % pour le verre, 35 % pour le carton…», égrène Marc Désarménien, directeur de la moutarderie familiale Fallot. La hausse s’élève même à plus de 30 % pour le vin blanc de table (100 % pour le vin blanc de Bourgogne), ingrédient essentiel à la moutarde, en raison du gel tardif qui a sévèrement amputé la récolte cette année.
En France, gel et insectes détruisent les récoltes
L’envolée des prix inquiète toute la filière et aura évidemment un impact sur le portefeuille des consommateurs. Il faudra par exemple compter «entre 9 et 16 %» d’augmentation en 2022 pour les pots de la moutarderie Fallot, qui se fournit pourtant essentiellement en Bourgogne. La culture locale des graines de moutarde, qui a fait la réputation de Dijon il y a plusieurs siècles, est aussi en crise. Disparue de la région depuis la Seconde Guerre mondiale en raison de la mondialisation des échanges et de la concurrence de pays aux rendements plus élevés, la production a été relancée sur le sol français dans les années 1990, allant jusqu’à couvrir 25 % des besoins jusqu’en 2016.
A lire aussi
«Mais depuis cette année-là, nous sommes retombés à environ 10 %. De 12 000 tonnes en 2016 nous sommes passés à 4 000 tonnes en 2021. C’est simple, on n’arrive plus à gérer les ravageurs», se désole Fabrice Genin, producteur de graines de moutarde et président de l’Association des producteurs de graines de moutarde de Bourgogne (APGMB). «Il y a un effet climatique, c’est évident. Comme les hivers sont plus doux, l’environnement est plus favorable aux insectes qui se reproduisent plus souvent dans l’année», ajoute le producteur, qui regrette le manque de solutions apportées face à l’interdiction des produits phytosanitaires.
Réduire la dépendance au géant nord-américain en relocalisant massivement la production sur le sol français semble donc aujourd’hui «impossible» pour Fabrice Genin. «Il nous faudra encore quelques années le temps de nous adapter grâce, par exemple, à la sélection de nouvelles variétés résistantes aux insectes, mais nous ne retrouverons pas les mêmes rendements et surtout il nous sera impossible de nous aligner sur les prix des Canadiens», explique le producteur. En attendant, tous espèrent que la prochaine récolte permettra de regonfler les stocks désormais inexistants. «On croise les doigts pour que 2022 ne soit pas encore une annus horribilis, comme dirait la reine d’Angleterre», conclut Marc Désarménien.