C’est jour de neige dans notre caboche. Parce que la veille au soir, on a entendu dire qu’il avait floconné dans le Haut. Alors, on prend la route où des arbres sont encore d’or et les prairies d’un vert dru. On grimpe les plateaux jurassiens sans voir âme qui vive. Pourtant, il est ici le mektoub, dans les volutes bleues des feux de bois qui s’échappent par les cheminées.
«Un roi sans divertissement»
La première neige apparaît au détour d’une route en lacets. Elle poudre la cime des sapins, forme un voile léger sur les prairies. Elle est timide pour l’œil mais foisonnante pour les méninges. Il y a quelque chose d’unique dans l’air cru de la neige, ce parfum inimitable de l’hiver, le vrai, qui pour nous est un loup fidèle qui chasse le «black dog» quand on aspire de grandes bouffées de flocons. On songe à quand la neige vient dans Un roi sans divertissement de Jean Giono (1895-1970) (1) : «Une heure, deux heures, trois heures ; la neige continue à tomber. Quatre heures ; la nuit ; on allume les âtres ; il neige. Dehors, il n’y a plus ni terre ni ciel, ni village, ni montagne ; il n’y a plus que les amas croulants de cette épaisse poussière glacée d’un monde qui a dû éclater. La pièce même où l’âtre s’éteint n’est plus habitable. Il n’y a plus d’habitable, c’est-à-dire il n’y a plus d’endroit où l’on puisse imaginer un monde aux couleurs du paon, que le lit. Et encore, bien couverts et bien serrés, à deux, ou trois, quatre, des fois cinq. On n’imagine pas que ça puisse être encore si vaste, les