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La pâtisserie végane, d’égal régal

Entre démarche consciente et renouvellement créatif, la pâtisserie sans ingrédients d’origine animale s’installe en France où elle est désormais enseignée dans les écoles de cuisine. Et séduit même les plus grands chefs.
livre A l’école de la pâtisserie végane SOLAR (Linda Vongdara/Ed. Solar)
publié le 3 juillet 2022 à 8h58

Les madeleines sont au four. Dix minutes, à 210°C, pas plus. Alors pendant la cuisson, Chiharu Kaneko, cheffe pâtissière de Land & Monkeys, à l’angle des rues de Turenne et de Rivoli (75004), anticipe en cette grise après-midi de mai une fournée de meringues. Tout ce qu’il y a de plus classique pour une boulangerie-pâtisserie hexagonale. Sauf que Land & Monkeys, inauguré dans le Marais en février 2020 à la veille du confinement, n’est pas n’importe quel établissement. Dans cette maison fondée par le boulanger Rodolphe Landemaine, 46 ans, à la tête de la maison du même nom (25 boulangeries à Paris et au Japon), les gâteaux – des financiers à la charlotte aux fruits rouges – aussi bien que les sandwichs, sont végans. Entendez : confectionnés sans aucun produit d’origine animale pour des raisons avant tout éthiques et écologiques.

Exit donc le sacro-saint triptyque œuf, lait et beurre, cher à la pâtisserie française, et place aux ingrédients végétaux en tout genre : lait de soja, fécule de pomme de terre, poudre d’amande ou huile de raisin, etc. «On est partis des gammes classiques de la pâtisserie et il est aujourd’hui possible de tout faire, sauf peut-être la pâte à chou, mais on va y arriver, explique la Japonaise Chiharu Kaneko, en pressant sur une poche à douille. Il faut que ce soit bon, que la texture soit au rendez-vous et que ce ne soit pas que visuel.» Le résultat, esthétique comme gustatif, est à s’y méprendre. Les flans à la vanille, fraisiers et autres tartes fines, en vitrine, n’ont rien à envier à leurs homologues aux œufs et au lait – même si on remarque que les madeleines, notamment, s’assèchent plus rapidement que des gâteaux traditionnels. La pâtisserie végétale exige donc d’être consommée rapidement.

«L’avenir de la pâtisserie»

A quelques kilomètres de là, boulevard Voltaire (75011), Bérénice Leconte, 32 ans, explore une vision légèrement différente. «Je pars des recettes simples et je suis contre les substituts. Ce que j’aime justement, ce sont les défis», affirme la cheffe de VG Pâtisserie. Il y a cinq ans, cette ex-ingénieure en agroalimentaire en reconversion décide de fonder sa pâtisserie végétale. «Quand on a ouvert, on se faisait lyncher sur les réseaux sociaux à cause du terme végan, mais ça s’est démocratisé.» A Paris, il s’agit alors du premier commerce pâtissier de ce type. Depuis, en dehors de la capitale, les établissements ont poussé comme des champignons, à Aix, Bordeaux, Caen, Dourdan, Lyon, Marseille ou Nice. Sans compter les propositions du monde de la haute gastronomie comme le tea-time végan de l’ancien chef pâtissier du Shangri-La, Michaël Bartocetti, il y a quelques années ou, plus récemment, les entremets végétaux de la cheffe étoilée végane Claire Vallée (ONA), sur le bassin d’Arcachon.

«Les grands chefs s’y mettent, comme Pierre Hermé ou Alain Ducasse, observe encore Bérénice Leconte, qui fournit également les palaces parisiens pour des demandes ponctuelles (séminaires, fashion week, etc.). Alors, certes, végétal, cela veut tout et rien dire, ce n’est pas réglementé comme le «sans gluten», mais c’est l’avenir de la pâtisserie, d’autant que cela s’adresse aussi aux intolérants et aux allergiques.» A Tours, Juliette Draux, cheffe du salon de thé 100 % végan l’Instant, peut, elle, s’enorgueillir d’avoir ravi l’automne dernier à Chambéry le premier titre de première pâtissière végétale de France – un titre décerné par le MOF Michel Viollet, le chef trois étoiles Eric Verbauwhede et la jeune pâtissière Linda Vongdara (1). Juliette Draux, 33 ans et ancienne juriste, «autodidacte», s’est formée auprès de Linda Vongdara qui est à la tête d’Okara, la première école parisienne de pâtisserie végétale. Elle a convaincu le jury avec des tartelettes aux agrumes et des entremets au chocolat.

Juliette Draux revendique une cuisine créative, artisanale et de saison pour ses clients, pas forcément végans. «Je mets moins de sucre et on ressent des goûts plus bruts car il n’y a pas de beurre, décrit-elle. Je ne cherche pas à copier, même si j’ai des repères conventionnels en matière de finitions.» Et d’ajouter : «Les chefs, qui font un travail de recherche technique, sont prêts à changer les choses, mais il y a tout de suite plus de réticences dans les pâtisseries plus traditionnelles car on pense que faire sans œuf et sans beurre ce n’est pas bon.»

Chaque pâtissier a sa combine

Aux éditions de La Martinière, Anaïs Galpin a fait paraître 40 recettes sans ingrédients animaux, sobrement titré Ma Pâtisserie végétale. Des recettes de desserts végétaux qui puisent dans les classiques français mais aussi américains (banoffee, brownies, cakes, donuts, cookies) tout en excluant les œufs, le beurre et la crème. «Je le fais pour les animaux, pour l’environnement, mais j’ai envie d’inclure tout le monde dans la démarche», souligne-t-elle. La pâtissière remplace le beurre par du beurre végétal (une margarine sans huile de palme ni additif), le lait par une boisson de soja «produite en France et qui ne contient que du soja et de l’eau», l’œuf par l’aquafaba (l’eau des pois chiches) ou la compote de pomme non sucrée, le psyllium (une variété de plantain), les graines de lin ou la poudre à lever. Ses pâtisseries, très jolies, comportent un nombre restreint d’ingrédients et des manipulations simples, accessibles à tous. «Le plus important, c’est que le goût soit là, puissant, avec du caractère, et de la texture aussi. On a tous goûté des gâteaux végans où il y a un manque de maîtrise au niveau des textures. Or, dans la pâtisserie, il faut de la gourmandise. Quant au sucre, il faut le voir comme un condiment et pas comme un ingrédient essentiel.» Le plus dur à remplacer reste certainement l’œuf, raison pour laquelle, dans le livre d’Anaïs Galpin, on ne trouve pas de pâte à chou.

Pour remplacer les ingrédients d’origine animale, chaque pâtissier a sa combine, fruit de longues recherches et expérimentations. Bérénice Leconte, autrice de Pâtisserie végane et Mon Petit chou végan (2), dévoile ses trucs et astuces (également dispensées sur la chaîne YouTube de VG Pâtisserie) : pour une crème pâtissière par exemple, elle utilisera du curcuma pour donner la coloration jaune à sa préparation, mais aussi de l’amidon de maïs, du lait d’amande, du sucre, de la margarine et une gousse de vanille. «Dans un cake, on mettra du yaourt de riz et en guise de liant de la fécule de pomme de terre», ajoute-t-elle. Des start-up comme Yumgo, propriété du boulanger Rodolphe Landemaine, tentent de créer en laboratoire un «œuf végétal» à partir de protéines de pommes de terre, de pois ou de lupin, pour pallier les nombreuses propriétés de l‘œuf. «C’est le produit le plus touchy car il est omniprésent pour des fonctions très diverses, de liant, de texturant, de capacité à stabiliser des émulsions, précise l’entrepreneur végétalien. C’est l’ingrédient le plus difficile parce qu’il faut trouver des protéines capables de remplir les mêmes fonctions dans la pâtisserie.»

Salles de classe ressemblant à un amphi

Si les chefs ont assez peu – pour l’instant – intégré la pâtisserie végétale à leurs cartes, les écoles de cuisine, elles, forment déjà leurs ouailles à la pâtisserie du futur. A Ferrandi (75006), le chef pâtissier Carlos Cerqueira anime un stage «Vegan, healthy et sans gluten» pour les futurs diplômés de cette prestigieuse école. «C’est une formation où on s’intéresse aux allergènes, au sans gluten, au bio, au local, aux filières écoresponsables et, bien sûr, à la pâtisserie végane, plaide-t-il. Sur la partie healthy, les régimes alimentaires sont tous différents, mais j’essaie de faire une partie pâtisserie désucrée où je remplace le sucre semoule avec le miel.»

Parmi ses secrets de chef : l’huile de noix de coco comme substitut de blanc d’œuf, de la poudre d’algue comme émulsifiant, ou de la fécule ou de l’amidon de maïs pour remplacer l’œuf. «Je n’ai pas d’intolérance, je ne suis pas végan ou locavore, mais je fais attention à la manière dont je m’alimente, poursuit Cerqueira. J’ai été suivi par un nutritionniste, j’ai perdu du poids, et j’ai appris à bien m’alimenter sur une journée.» Sensible à la fois au plaisir et à la santé, il s’intéresse aux pâtisseries désucrées à destination des diabétiques «et à tout ce qui est lié au cancer : les sucreries sont interdites pendant les chimiothérapies, et dans ces moments-là, pouvoir trouver une pâtisserie différente, c’est important pour garder le moral».

Dans le XVe arrondissement, le très chic institut le Cordon bleu propose également à ses étudiants de se former à la pâtisserie végétale. Dans de très belles salles de classe ressemblant à un amphi (à l’exception que le prof est derrière une cuisine, que des miroirs au plafond réfléchissent ses gestes, que des caméras retransmettent l’image sur des télés et qu’une traductrice traduit en live ses instructions), des boulangers, pâtissiers et cuisiniers professionnels forment quelque 800 étudiants à toutes les spécialités. Côté pâtisserie végane, l’engagement est sérieux : «Quand on passe les épreuves du MOF en pâtisserie, il y a désormais une épreuve pour une pâtisserie allégée en sucres», souligne le chef Fabrice Danniel, qui nous accueille pour un tour du propriétaire.

«Ici, nous cherchons des alternatives. Par exemple, comme on sait que l’une des fonctions du sucre est de conserver les aliments, nous allons le remplacer par la conservation sous vide. Et le futur de la pâtisserie est forcément végane. Il faut s’adapter à toutes les demandes : le sportif, la pâtisserie casher [qui n’utilise ni lait ni œuf, ndlr], la pâtisserie pour les gens fragiles ou allergiques. Et j’invite les gens qui n’ont pas de problèmes de santé à aller goûter pour s’habituer à des pâtisseries aussi bonnes que les autres mais également plus saines.» La formation propose d’inventer de nouveaux classiques, comme la tarte sarrasin-mandarine ou le vacherin fraises-concombre et cherche des associations nouvelles (fenouil-kiwi, poivron confit-framboises) pour ouvrir les chakras gustatifs au goût du futur.

(1) A l’école de la pâtisserie végane, éd. Solar (2019).
(2) Pâtisserie végane (2017) et Mon Petit chou végan (2019), éd. La Plage.