Tous les migrants du monde, qu’ils aient ou non choisi l’exil, emportent avec eux dans le sac à dos de leur mémoire des recettes, des goûts qui rappellent le pays natal, l’enfance, les souvenirs. La fête est l’occasion de déballer avec bonheur, parfois mélancolie aussi, ce sac posé dans le pays d’accueil qui découvre et, au fil du temps, intègre ces festivités. Ainsi le nouvel an chinois, fêté cette année le samedi 10 février, fait désormais partie de notre calendrier, tout comme la Saint-Patrick irlandaise et Halloween. Il arrive aussi que l’on partage des fêtes moins connues au gré de nos amitiés comme Newroz, le nouvel an Kurde, le 21 mars. Il y a dans ces recettes et ces fêtes une précieuse transmission pour les générations de descendants d’immigrés nés en France.

Dans la Cuisine de l’exil, récits et recettes (1), Stéphanie Schwartzbrod, comédienne et autrice culinaire, dit tout cela à travers ses rencontres avec des hommes et des femmes «venus d’ailleurs, avec dans leurs bagages les recettes de leur pays, de leur enfance, et de leur famille. Parler de leur cuisine, pour eux, c’est livrer des bouts de leur histoire et du chemin qui les a menés de là-bas à ici… Un chemin de vie, pour nous faire réfléchir sur l’ici et l’ailleurs, les liens qui se tissent de l’un à l’autre, leur entente possible ou impossible, ce qui forme peu à peu cette drôle d’identité… Celle d’exilés. De déracinés. J’ai la sensation que ces témoignages, tout subjectifs et partiels qu’ils soient, en disent beaucoup sur l’histoire de chaque pays mais aussi et surtout sur cette vie désormais coupée en deux».

Ainsi, on s’est arrêté sur l’histoire de Long Men, producteur de films documentaires, qui a grandi en Mongolie-Intérieure en Chine. A 20 ans, il réussit le difficile concours de l’Académie centrale d’art dramatique de Pékin. Il travaille sur Racine, Molière, Shakespeare, Tchekhov. Il commence à faire de la politique. «Nous admirions beaucoup Gorbatchev qui ne voulait plus de guerre froide ni de rideau de fer, on se préparait à changer la vie politique et on avait l’impression qu’il ne suffisait plus que d’une étincelle pour que tout s’embrase.» Il participe aux événements de la place Tian’anmen et assiste à la répression du 3 au 4 juin 1989. La police le recherche jusqu’en Mongolie. Après un incroyable périple, il rejoint Taiwan, puis Amsterdam, Bruxelles et enfin Paris. «J’ai tout d’abord habité porte d’Italie où il y avait beaucoup de restaurants tenus par des Vietnamiens, raconte-t-il dans la Cuisine de l’exil. J’ai découvert les soupes phô et les soupes de nouilles de riz. Ces soupes existent en Chine, mais je viens du Nord, de la Mongolie, je n’en avais jamais mangé.» Les propos de Long Men témoignent de l’extrême diversité des cuisines de la Chine qui compte pas moins de 34 provinces et régions ayant chacune leurs traditions culinaires. «Quand je cuisine des plats chinois, je crée de nouveaux plats, je m’invente des salades avec des nouilles de riz ou des pâtes soba car j’ai épousé une Japonaise.»

En prévision du nouvel an chinois, on vous propose de concocter la «salade de crevettes aux cacahuètes» de Long Men. Il vous faut 400 g de crevettes ; 3 cœurs de laitue ; 1 avocat ; 2 carottes ; 1 bocal de pousses de soja ; 1/3 de concombre ; 3 cuillères à soupe de cacahuètes non salées concassées ; 6 cuillères à soupe d’huile de sésame ; 2 cuillères à soupe de sauce soja ; 1 cuillère à soupe de nuoc-mam ; 2 cuillères à soupe de sucre en poudre ; ½ citron vert ; 2 cuillères à soupe de menthe ciselée ; 2 cuillères à soupe de coriandre fraîche ciselée.

Dans un grand bol, mélangez l’huile avec le jus du ½ citron vert, la sauce soja, le nuoc-mam et le sucre en poudre, émulsionnez, puis ajoutez les crevettes que vous aurez préalablement décortiquées et coupées en deux dans le sens de la largeur. Pendant ce temps, nettoyez les cœurs de salade et égouttez-les, épluchez les carottes et le concombre et coupez-les en lamelles fines. Egouttez les pousses de soja, enlevez la peau de l’avocat et coupez-le en lamelles fines. Dans un plat, disposez la salade, les carottes, le concombre, les pousses de soja, l’avocat puis les crevettes et la sauce, recouvrez des herbes ciselées et des cacahuètes concassées.

(1) Ed. Actes Sud, 2019, 23 euros.