C’est l’un de nos rites préférés en cuisine. Donner un aller-retour à l’araignée de bœuf (un muscle situé au niveau de la hanche) dans la poêle bien chaude puis semer dessus le poivre noir de Sarawak avec le moulin octogénaire. Savourer le fondant et la sapidité de la viande alliée au feu de l’épice. Le steak et le poivre sont mariés pour le meilleur et parfois le pire quand un gâte-sauce massacre ce couple torride.
Charles III
Hasard du calendrier avec la visite toute fraîche de Charles III en France, c’est la faute aux Anglais si nous mangeons du bifteck comme l’explique Claudine Brécourt-Villars dans son précieux Mots de table, mots de bouche (1) : bifteck est la «francisation de l’anglais beef-steak, composé de beef “bœuf” (emprunté à l’ancien français boef ! ) et de steak “tranche à rôtir”, qui apparaît d’abord sous la forme de “Beeft Stek” à l’angloise en 1735 dans le Cuisinier moderne de Vincent La Chapelle, au service de Lord Chesterfield, puis celle de “beef-stake” en 1785, et enfin sous sa graphie actuelle dans le Cuisinier impérial de Viard en 1806. S’applique à une tranche de bœuf, prélevée sur la cuisse, destinée à être grillée ou passée à la poêle, que les Anglais introduisirent après la victoire décisive sur Napoléon, et que les Français promurent au rang de plat national au début du XXe siècle, dès lors qu’elle fut accompagnée de frites.»
Le week-end dernier
Raymond Oliver
Si les origines du steak au poivre ne sont pas vraiment précises, sa recette a été codifiée par le chef Raymond Oliver (1909-1990), figure incontournable du Grand Véfour à Paris, ami de Colette et de Cocteau. Si comme nous, vous êtes friand des archives de l’Institut national de l’audiovisuel (INA), régalez-vous avec l’inimitable leçon de «steak-pommes au coin de rue» de Raymond Oliver sur le site de l’INA.
«Lui cuisine»
Pour la recette du steak au poivre vert, on est allé feuilleter un fabuleux bouquin que l’on doit aux éditions de l’Epure (2) : Lui cuisine rassemblant les recettes de Ned Rival (1924-1995). Dans les années 70, cet écrivain, homme de radio et bec fin, mitonnait de délicieux papiers gastronomiques dans Lui Magazine «à l’attention des hommes qui font acte de cuisine, un acte d’amour pour leurs amis, leur maîtresse, voire la femme devenue épouse…» Il disait que «l’homme qui cuisine est un ami parfait, un amant délicat et parfois un mari acceptable». Il en connaissait un rayon en matière de préliminaires culinaires : «Un dîner en tête-à-tête, chez soi, avec une jolie femme, doit être tourné comme un madrigal et avoir tous les traits d’un impromptu. Chacun sait que les improvisations les plus brillantes sont celles qui sont préparées de plus longue main : donc votre plan, je veux dire votre menu, doit être établi bien à l’avance. Votre marché sera fait, au préalable, dans les moindres détails. Rien n’est plus défavorable à la naissance d’un tendre penchant que la phrase : “Attendez-moi une minute. Je reviens, j’ai oublié le sel”», écrit-il dans son chapitre «l’Amant délicat», avant de conclure : «Les feux les plus ardents, comme les passions, sont ceux qui couvent. Préparez, à l’avance, dans des soucoupes, des tasses ou des bols, les diverses denrées dont vous aurez à user. Que votre numéro soit au point comme un tour de passe-passe, passez muscade et quatre-épices. Soyez adroit. Une femme peut fort bien juger un homme à la façon dont il trousse une omelette. Bonne chance !»
Whisky
Pour Ned Rival son steak au poivre vert est un plat «qui annonce clairement vos intentions». Comptez 150 g de rumsteck par personne. Enfoncez légèrement dans la surface de la viande les grains de poivre. Faites saisir sur les deux faces, au degré de cuisson désiré, dans un mélange d’huile et de beurre bien chaud. Posez sur des assiettes de service. Puis, ayant jeté la graisse brûlée, versez dans la poêle un bon verre de whisky et faites-le s’enflammer. Ajoutez une tasse de crème fraîche. Tournez vivement à la cuillère en bois jusqu’à l’obtention d’une sauce onctueuse. La préparation ne doit pas bouillir. Versez sur les biftecks. Ned Rival ajoute que des petits piments verts frits à l’huile «font une garniture qui multiplie par dix l’effet aphrodisiaque de ce plat».
(1) Lui cuisine, textes de Ned Rival. Illustrations de Roland Topor, éditions de l’Epure, 2009, 148 pp., 35 €.