Quelle cruelle homonymie que celle de la grenade en ces temps si noirs et si sanglants sur le Proche-Orient. Tout à la fois fruit symbole de vie, de fertilité, et engin de mort qui déchiquette les corps israéliens et palestiniens. C’est peu dire que son jus acidulé imprègne les terres qui, depuis la nuit du temps jusqu’à aujourd’hui, ont vécu les riches et les plus sombres heures de l’humanité : de l’Afghanistan à la bande de Gaza en passant par le Caucase et l’Espagne.
50 °C
Nous, la grenade nous hante depuis plus de trente ans. Autant dire un siècle. A l’époque, dans une petite cour de Bagdad, on s’acharnait à faire survivre un grenadier chétif qui côtoyait un bigaradier imposant. Dans le four de juillet en Irak, où le thermomètre tutoyait les 50 °C, on l’arrosait après l’appel à la prière du soir de la mosquée voisine. On n’a jamais compris comment cet arbre maigrelet aux branches noueuses pouvait supporter le poids d’autant de grenades quand il fructifiait à l’automne.
Sinan Antoon
Il y a quelques années, dans une librairie déserte, on est tombé sur Seul le grenadier (1) de Sinan Antoon, un écrivain irakien qui vit aujourd’hui aux Etats-Unis. C’est l’histoire de Jawad, le fils cadet d’une famille chiite de Bagdad. On le suit dans un pays ravagé par les guerres depuis trente-sept ans. Il rêve de devenir sculpteur alors que son père le prépare à la même profession rituelle que lui, celle de laver les morts avant leur enterrement. C’est un roman où la vie et la mort sont insécables, à l’ombre d’un grenadier qui boit l’eau qui a servi à laver les défunts. «Comme il est étrange, cet arbre ! Il boit les eaux de la mort depuis des décennies, et tous les printemps, il se couvre encore de nouvelles feuilles, fleurit et porte des fruits», écrit Sinan Antoon. Où est-il ce paradis qu’évoque un hadith cité en préface par l’auteur : «Il n’est de grenade qui ne contienne une graine des grenades du paradis» ?
La recette de Sabrina Ghayour
On vous a déniché une salade de pommes au sumac à l’oignon rouge et à la grenade dans le toujours gourmand et dépaysant Sirocco de Sabrina Gayhour (2), un beau bouquin sur les saveurs du Moyen-Orient où l’on se régale aussi bien de brioche perdue à la cardamome que d’ailes de poulet à l’orange, au thym et aux épices. Pour six personnes, il vous faut : 4 pommes Braeburn (ou Royal Gala) ; de l’huile d’olive pour arroser ; le jus d’un gros citron ; 3 cuillères à café de sumac grossier (en épicerie orientale. Le sumac en poudre teinterait votre salade en rouge) ; 1 petit oignon rouge, épluché et coupé en demi-lunes ; 200 g de graines de grenade ; les feuilles grossièrement hachées de 20 g de menthe : du sel et du poivre du moulin.
Lavez les pommes sans les peler, puis coupez-les en cubes de 1 centimètre de côté environ, en jetant le trognon. Placez les cubes de pommes dans un saladier. Arrosez-les d’un peu d’huile d’olive et versez le jus de citron par-dessus pour les empêcher de s’oxyder et de noircir.
Ajouter le sumac et les demi-lunes d’oignon rouge, puis remuez. Salez très légèrement et poivrez, ajoutez les graines de grenade (mais pas leur jus) et la menthe hachée. Remuez bien, puis servez sans attendre.
(1) Ed. Actes Sud, 2017, 22 euros.
(2) Sirocco, surprenantes saveurs des confins de l’Orient de Sabrina Ghayour, photographies de Harcela Hamilton. Ed. Hachette, 2016, 29,95 euros.