Menu
Libération
Gourmandises

Le panettone, pain béni de l’Italie

Tradition des fêtes de fin d’année transalpines, la brioche aux fruits confits a évolué depuis sa création au XVe siècle, dans la région de Milan, et a vu sa diffusion exploser dans le monde entier ces dernières années.
«Dans quelques années, le panettone sera aussi populaire que la pizza», affirme le pâtissier Giuseppe Piffaretti. (Martina Giammaria/Libération )
par Luca Endrizzi et photo Martina Giammaria
publié le 21 décembre 2022 à 7h26

Dans le joyeux capharnaüm de la gastronomie italienne, on trouve, malgré tout, des points communs entre l’île de Lampedusa et le col du Brenner. Pendant les fêtes de Noël, dans tout le pays, on déguste le panettone à la fin des grands repas ou lors de goûters en famille et entre amis. Cette sorte de brioche en forme de dôme, garnie de raisins secs et de fruits confits, a mis tout le monde d’accord, depuis l’unification de l’Italie (1861) et peut-être même avant. Stanislao Porzio, ancien musicologue devenu l’historien attitré du panettone – il a publié deux ouvrages sur le sujet – nous éclaire sur le lointain passé de ce dessert, né à Milan : «Les légendes autour de la naissance du panettone sont différentes mais toujours liées à l’étymologie du mot. La première, peut-être la plus connue, est celle liée à Toni, un serveur de cuisine de Ludovic Sforza, dit “le More”, qui, un soir de 24 décembre, sacrifie son bout de levure pour pallier une erreur survenue dans les cuisines du duc de Milan. Le dessert préparé par le chef cuisinier a brûlé, il faut le substituer, vite. On ramasse de la farine, du sucre, du beurre, de la levure et on enrichit la pâte avec des raisins secs et des fruits confits. Le voilà, le pan de Toni !»

Des documents historiques évoquent, dès 1470, des gros pains confectionnés pour la veille de Noël avec de la simple farine de blé. «La première référence au panaton se trouve dans un dictionnaire milanais daté de 1606, raconte l’ancien musicologue. Il faudra cependant attendre deux siècles pour trouver dans un autre thesaurus de 1839 la définition du panettone, la plus proche du produit que nous connaissons maintenant : un gâteau fait de farine, sucre, beurre, raisins secs et fruits confits cuit au four. Concernant la levure, c’est une recette du livre Nuovo Cuoco Milanese de Luraschi qui l’évoque en premier. On est en 1859, mais si la recette est alors publiée, elle est certainement utilisée bien avant.»

Algues et beurre salé normand

Un gâteau multicentenaire, donc, auquel Stanislao Porzio a décidé de dédier un salon et un marché, Re Panettone, qu’il organise depuis 2008. A Milan, cette année, «on est encore dans le post-Covid : on n’a que 30 artisans pâtissiers présents, mais la qualité est au rendez-vous et le public aussi avec 12 000 visiteurs environ», se réjouit le spécialiste. Le panettone artisanal étant un produit qui ne doit pas contenir d’additifs ni de conservateur, il a tiré au sort cinq créations dont il a prélevé des échantillons afin de les faire analyser par les laboratoires de l’université de Milan.

Lors de la première journée du salon, un concours est organisé pour élire le meilleur panettone classico (celui ne contenant que sucre, farine, beurre, levure, raisins secs et fruits confits) et la meilleure nouveauté. Dans cette catégorie, c’est la pâtisserie d’Alessandro Marigliano, située près de Naples, qui a remporté le premier prix avec un panettone aux algues marines finement triturées et ajoutées à la pâte. Ce panettone salé, ou mieux, non sucré, est vendu dans sa boîte en carton avec un pot d’anchois : «Cela fait déjà deux ans que ce produit existe. Alessandro Marigliano et un ami chef d’un restaurant installé à San Giuseppe Vesuviano l’avaient réalisé dans le laboratoire de la pâtisserie, pour eux, afin de déjeuner d’une façon différente pendant les longues heures de travail au moment des fêtes, nous raconte une employée. Puis on a décidé de le commercialiser comme produit pour l’apéritif. Quand on nous a demandé d’amener un produit innovant ici à Milan, on l’a choisi : il nous a porté chance.»

Ce panettone contient dans sa pâte un ingrédient important, produit en France : «Pour faire virer légèrement le goût vers le salé, on utilise le beurre salé normand», nous explique-t-on. Sous la halle en acier de l’ancien Palais du sport de Via Piranesi, les passionnés se bousculent pour goûter aux différents produits ou assister à des démonstrations de haute pâtisserie. Les ventes, avec un prix imposé de 30 euros le kilo, alors que le panettone artisanal dépasse très souvent les 40 euros, se succèdent sans faiblir.

Parmi les exposants à Re Panettone se trouve aussi l’inventeur d’une coupe du monde consacrée au panettone : le pâtissier de Mendrisio (Suisse), Giuseppe Piffaretti. «Le panettone est indéniablement un gâteau milanais, mais depuis des décennies sa diffusion dans le monde a explosé : je crois que sa popularité dans quelques années sera la même que la pizza, prophétise ce Suisse de langue italienne. Il faut savoir que le premier producteur du panettone au monde est le Brésil, devant le Pérou et l’Italie. C’est pour cela qu’en 2019, j’ai eu l’idée d’organiser la coupe du monde de ce gâteau assez complexe à réaliser. Il y a quelques semaines a eu lieu la troisième édition ici à Milan, avec des pâtissiers venant du Japon, d’Australie, de Belgique, d’Algérie, de France, des Etats-Unis et d’autres pays encore : les cinq continents étaient représentés.»

«Un truc neuf et gourmand»

Quand on parle du panettone, le nom d’Achille Zoia revient souvent dans la discussion comme une référence en la matière. Avec un esprit et un débit de blagues par minute à rendre jaloux les meilleurs stand-uppeurs, l’artisan de 87 ans règne encore sur le laboratoire de la Boutique del dolce, sa pâtisserie à Concorezzo, tranquille banlieue du nord-est de Milan. «Ici il n’y a plus rien à moi. Tout est à lui», déclare-t-il, joueur, en indiquant Stefano Buelli, son gendre, à qui appartient maintenant l’affaire, devenu pâtissier par amour de Monica, la fille d’Achille, et par le hasard des choses. «J’avais une parfumerie qui ne marchait plus très bien. Je venais ici souvent donner un coup de main. Puis j’ai décidé de fermer mon magasin et de travailler ici, détaille Stefano. J’ai tout appris sur le tas en travaillant avec mon beau-père.»

Le rapport entre le panettone et Achille Zoia n’a pas été toujours simple : «Je suis considéré comme la personne qui a donné une deuxième vie au panettone grâce à l’invention de la variante que j’ai appelée “paradiso”, mais je ne voudrais pas passer pour un pâtissier qui est capable de ne faire que ça. J’ai reçu énormément de prix pour les gâteaux à pâte levée, cependant le prix qui me tient le plus à cœur, c’est celui que j’ai gagné pour la glace au citron. Je suis arrivé quatrième sur 256 glaciers !» raconte-t-il en exhibant une plaque datée de 1988.

Voici quarante-cinq ans qu’Achille Zoia, après avoir travaillé pour une multinationale de l’agroalimentaire, s’est lancé à son compte en lançant sa pâtisserie à Concorezzo : «Je pensais faire un carton avec mon produit artisanal, le panettone milano, dit aussi classico. Mais c’était sans compter avec l’industrie. C’était la grande époque des panettoni Motta e Alemagna, qui coulaient à flots : un produit industriel assez bon et surtout pas cher. La première année, sur 60 pièces produites, 40 sont restées en boutique. Pour se démarquer, il fallait inventer un truc neuf et gourmand», développe-t-il en passant d’une tâche à l’autre, lancé dans la préparation d’une cinquantaine de panettones dont la moitié environ repose encore depuis la veille dans la chambre de fermentation.

Goutte de chocolat en suspension

La devise d’Achille Zoia en dit long sur ce pâtissier jamais fatigué : «Penser toujours à être le meilleur même si dans la réalité tu ne peux pas l’être, puis utiliser l’imagination.» Après cet échec, il ne se décourage pas et invente son panettone paradiso : 700 grammes de beurre pour un kilo de farine, du miel d’acacia qui vient se substituer à un tiers du sucre, des quarts de noix, un dôme recouvert d’un mélange de sucre et d’amandes, des raisins secs de Turquie et une petite goutte de chocolat en suspension dans la pâte. «A vrai dire, je me suis aperçu après coup qu’il ne fallait pas exagérer avec le chocolat car il pouvait modifier le goût de la pâte. Bon, il était déjà imprimé sur les emballages donc j’ai dû le laisser, ajoute-t-il, facétieux. Mon chef-d’œuvre, c’est la composition de la pâte, non pas les gouttes de chocolat. De plus, le levain est un produit vivant qu’il faut maîtriser et pour cela il faut de l’expérience.» Le panettone chez Zoia subit deux phases de malaxage : «La première avec les ingrédients de base, que je fais à 1 heure du matin, pour pouvoir laisser la pâte lever tranquillement et procéder au deuxième malaxage à 16 heures le lendemain. Puis on fait les petits pains de 1 kilo, ou 500 grammes, mais on fait aussi du 2 ou 3 kilos, en moindre mesure. On les met dans les formes en papier, on les laisse lever quelques heures et on les met cinquante minutes au four. La température intérieure doit être autour de 92 °C.»

Dès qu’ils sortent du four, un parfum doux et léger se répand dans le laboratoire. Les dômes tendent à s’écraser, c’est pourquoi ils sont mis à sécher la tête en bas sur des structures en acier. Une fois refroidis, on peut finalement les couper : la tranche est souple, la pâte couleur blanc cassé à cause des noix. Dans la bouche, une saveur très délicate envahit le palais, la pâte fond presque sans mastication, nécessaire juste pour les petits morceaux de noix et les amandes de la croûte. Les quelques gouttes de chocolat déplacent le goût ailleurs, pour un instant. On comprend alors ce que le chef nous a expliqué. Mais que font donc Zoia et ses pâtissiers à Noël ? «On dort, mais d’abord on trinque.»