Moi, la fonte noire de la cocotte, je ne crains rien ni personne. Il faut dire que je viens de la nuit des temps, née du mariage du fer et du carbone, en Chine, au IIe siècle avant J.-C. J’ai fait la guerre à partir du XVe siècle comme boulet de canon. On m’a baptisée «chaudron» quand je mijotais la bectance sur trois pieds dans la cheminée. Mais c’est à partir du XIXe siècle que je suis devenue une actrice majeure de la révolution industrielle et des hauts fourneaux. J’aime quand je me liquéfie à 1 350 °C et que l’on me verse dans un creuset avant d’être coulée dans un moule en sable qui reproduit la forme de la cocotte. J’aime le visage buriné des sidérurgistes derrière leur heaume de protection devant le cubilot. J’aime les gestes assurés et délicats de Marie quand elle fait revenir l’oignon émincé dans le beurre chaud qui chantonne dans mon fond.
Soupe au lard
Quand elle m’a achetée avec son mari Marius en 1919 au bazar du bourg, j’ai tout de suite compris que je n’allais pas chômer sur la Godin quand elle me fait de la bonne braise avec des rondins de hêtre. Je me réjouis quand enfin le thermomètre amorce sa descente dans l’automne. J’attends avec impatience de confire le chou farci, de faire chanter les haricots blancs avec l’andouille, de faire dorer les patates du jardin coupées en petits carrés, de faire murmurer la soupe au lard que Marius fait réchauffer au petit-déjeuner dès les premières gelées avant d’aller travailler à la voie ferrée du PLM (Paris-Lyon-Méditerranée).
Lebel modèle 1886
Mais ce