8 février 1984 : Marius vient d’avoir 90 ans. Il s’est un peu tassé avec l’âge mais il se tient encore bien droit sur le quai de la gare encadrée par sa fille, Juliette, et son fils, Maurice. Son éternel béret vissé sur la tête, il interroge du regard sa fille et son fils. «Mais qu’est-ce que je fais là ?» «Surprise», s’écrie Juliette. Le vieux monsieur se renfrogne dans sa vareuse en velours côtelé. Peuvent donc pas lui foutre la paix ces deux-là. Déjà que toute la famille était réunie autour de lui dimanche au Grand Hôtel où il a mangé de la langouste et du vacherin. Maintenant le voilà entre les pattes de ses deux enfants qui font tout un mystère. Et sur un quai de gare en plus que l’ancien cheminot connaît par cœur. Il regarde au loin le dépôt et la rotonde. Ils y avaient fait une sacrée bamboche pour son départ en retraite en… 1949. Ses proches se moquent gentiment de lui quand ils lui rappellent qu’il a été plus longtemps en retraite qu’en activité. Marius ne dit rien. Il garde pour lui son enfance laborieuse, à garder les vaches à 9 ans, sa jeunesse bousillée par les quatre ans de la guerre 14-18. C’est vrai quoi, il s’est tourné les pouces toutes ces années-là, avant d’entrer au PLM (Paris-Lyon-Méditerranée) en 1919.
TGV
Le haut-parleur crachote au-dessus des rails : «Le TGV en provenance de Lausanne est annoncé.» Marius n’en croit pas ses oreilles. Déjà qu’il est peu sourd depuis qu’un obus allemand a explosé trop prè