Maïté, c’était d’abord une voix, un accent du Sud-Ouest comme on en entend si peu à la télévision. Des séquences cultes et gore aussi, qu’on ne verrait plus aujourd’hui, comme celles où elle assomme des anguilles à coups de pilon, saigne un canard et plume avant d’en faire du magret ou déguste un ortolan à la main avec force bruits de succion. Maïté, c’était une star des fourneaux et du petit écran d’avant Top Chef, truculente thuriféraire de la cuisine traditionnelle, celle qui requiert une motte entière de beurre pour chaque plat. De son vrai nom Marie-Thérèse Ordonez, Maïté est morte dans la nuit de vendredi à ce samedi 21 décembre à l’âge de 86 ans.
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Maïté était devenue célèbre grâce à son émission la Cuisine des mousquetaires, où elle mettait en avant une cuisine rustique et pittoresque. L’émission a d’abord été diffusée pendant huit ans sur l’antenne régionale de FR3 Aquitaine, de 1983 à 1991, avant d’avoir les honneurs du signal national jusqu’en 1997 (puis A table ! jusqu’en 1999). Pourquoi F3 Aquitaine ? Parce que Maïté venait des Landes, pardi. Plus précisément de Rion-des-Landes, 2 700 habitants et un nom qui ressemble à du gras de porc confit ou à l’invitation à s’esclaffer autour d’un bon gueuleton.
Ancienne annonceuse à la SNCF
Dans ce village-rue qui s’étire le long de la D41, Maïté avait ouvert deux tables : le Relais des Landes en 1988 puis, après la fermeture du premier, un autre en 2000 appelé plus simplement Chez Maïté, le succès aidant. Il a fermé il y a dix ans, quelque temps après que la taulière ait cessé d’y jouer du piano. La Landaise n’est pourtant pas née dans une marmite. Cette fille de résiniers (des métayers récoltant la résine de pin) qui allait à l’école en sabots, comme le racontait Libé en 2020, a eu une première vie, a priori éloignée de la gastronomie : Marie-Thérèse était annonceuse à la SNCF. Deux décennies durant, elle devait prévenir à coups de trompette les ouvriers du rail de l’approche des trains. Un métier un peu ennuyeux, qui lui a laissé le temps de pratiquer la «cuisine de ballast» sur un petit réchaud. Les collègues, dont son marie Pierrot, lui apportaient des vivres (lapins, cèpes et autres trésors), elle préparait en gare une popote qui réjouissait les cheminots tous les midis.
La gloire surgit plus tard, au milieu de la cinquantaine, lorsqu’un réalisateur de documentaire la surprend en train de cuisiner avec sa passion proverbiale pour l’équipe de rugby locale. Il lui propose de passer à la télé, sa carrière est lancée. La voilà à l’écran, formant un duo comique avec la très bon chic bon genre Micheline Banzet, disparue en 2020. Dans ce tandem, Maïté joue le rôle de la cantinière du terroir, une cuisine à la bonne franquette, sans chichis malgré la noblesse des produits. Son ingrédient phare : le foie gras. Sa méthode culte : la flambée à l’armagnac ou au pastis, qui déclenche des pyrotechnies dignes des concerts de Rammstein. Et des intitulés de recettes qui font frémir plus d’un cardiologue : «camembert rôti et magrets au miel», «poule farcie au jambon», «langoustines et travers de porc au poivron» ou l’étonnante «crème brulée au fer à repasser». «Elle a osé faire des choses ! Elle faisait la cuisine qu’elle faisait et elle n’avait pas honte de le faire, a complimenté sur France Bleu le chef Yves Camdeborde, qui estime qu’elle a permis de préserver un patrimoine gastronomique du Sud-Ouest. C’est la grand-mère culinaire de tous les Français.»
«Putain de moine !»
Cette attitude libre s’incarne aussi dans son langage fleuri, «cette gouaille qui était franche, qui était propre, qui était nette», dit Camdeborde. Il y a le «Adishatz», salut gascon qui surligne l’ancrage territorial. Mais aussi l’évocation des «cocoyes» d’un coq (ses testicules), sa dispute homérique avec un jambon – «Il est sec, le con !» – ou encore ce «Putain de moine !» lancé lorsqu’elle se brûle les papilles. Une de ses sorties les plus fameuses, «Il n’y a pas écrit bécasse, ici !» devient un slogan publicitaire au profit d’une enseigne de lessive. Elle fait aussi, de manière plus attendue, la promotion de conserves alimentaires ou d’un fromage à tartiner. La marque «Maïté» se décline bien entendu en livres de recettes, cassettes vidéo et autres DVD de cuisine. «Pour moi, la Cuisine des Mousquetaires, c’est la cuisine des miracles, savourait-elle. Je n’étais rien, rien, rien. J’ai arrêté l’école à 14 ans, j’étais une ouvrière, une femme comme tout le monde. Même moins que tout le monde et avec cette nouvelle vie, je suis passée du coq à l’âne.»
La renommée lui permet aussi de faire l’actrice - elle qui avait été, dans sa jeunesse, une éphémère comédienne dans la troupe de son village – avec un premier rôle dans le long métrage le Fabuleux Destin de Mme Petlet. On la voir aussi dans les émissions de téléréalité Nice People et la Ferme des célébrités. Elle a même sa marionnette aux Guignols de l’info. Il n’empêche, malgré la lumière des spots des plateaux parisiens, Maïté reste fidèle à son village landais, qu’elle ne quitta jamais. C’est dans l’Ehpad de Rion-des-Landes qu’elle s’est éteinte.
Sur le réseau social X, le chef de l’Etat, Emmanuel Macron, a tenu à saluer samedi «une ambassadrice de notre cuisine traditionnelle, icône populaire, source d’inspiration pour tant de familles qui incarnait si bien l’art d’être Français». Et celui d’assommer les anguilles.