Ils ont leur journée nationale (le 8 octobre), un festival annuel à Cracovie (du 26 au 28 juillet cette année), et même un saint patron (saint Hyacinthe, qui a donné naissance à un juron de surprise en polonais, «saint Hyacinthe et ses pierogis !», équivalent de «sapristi» ou «sacrebleu» en français) : c’est peu dire que les pierogis sont une institution en Pologne. Dodus, fondants en bouche, ces ravioles en demi-lune, plat traditionnel multicentenaire servi aussi bien à Noël qu’à Pâques (sans viande), que pour des mariages ou des funérailles, ont su rester au goût du jour, jusqu’à être déclinés à toutes les sauces à travers le pays. Si emblématiques qu’ils s’affichent sur des porte-clés, des boucles d’oreilles, voire des chaussettes dans les échoppes touristiques.
Bombés à l’extrême, dorés à souhait, ces «uszka» («petites oreilles», en polonais) se dégustent à l’ail et au thym chez Mandragora (1), restaurant traditionnel de spécialités juives sis dans un bâtiment du XVIe siècle qui fut un temps un monastère à Lublin, dans l’est du pays. Croustillants car revenus dans du beurre à la poêle (et pas seulement bouillis à l’eau, comme c’est souvent le cas), ils sont alors l’antidote parfait aux hivers glaciaux et enneigés dans la cité qui accueillit le traité de l’union entre le royaume de Pologne et le grand-duché de Lituanie, en 1569. Renonçons à en déterminer l’origine incertaine (ont-ils été importés de Chine par la route de la soie ? Viennent-ils d’Ukraine, par le truchement d’un missionnaire dominicain du XIIIe siècle ?), et voyons plutôt ce qu’ils sont : bien plus qu’un plat basique et trop roboratif, comme on pourrait le croire. Certes, souvent farcis aux pommes de terre et au fromage, ils sont l’assurance d’un sommeil postprandial profond. Mais fourrés au chou et aux champignons, recouverts d’un fin manteau d’oignons grillés, tels que servis chez Morskie Oko, sur la place Szczepański de Cracovie (2), ils sont un encas léger, réconfortant à souhait, et toujours bon marché (compter une dizaine d’euros environ pour huit généreuses pièces). Délice ultime : ces surprenants petits farceurs sont tout aussi savoureux en version sucrée, emplis de myrtilles ou de raisins secs, à tremper dans du fromage blanc.
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A savoir avant de se lancer dans une tentative de fabrication maison : selon le Guinness, le record du plus grand nombre de pierogis confectionnés en une heure est détenu depuis 2019 par la valeureuse Beata Jasek, originaire de Cracovie, avec 1 066 pièces, soit une toutes les 3,4 secondes. Si vous ne vous sentez pas de rivaliser ou en cas d’échec, il est aussi possible de se procurer ces mets en France, dans leur version traditionnelle et selon une recette ancestrale, par exemple chez Mama Pierogi, à Clichy (3). Sinon, voici une recette de pierogis à la myrtille issue des Pâtes du monde maison de Diana Gemmeli (Anagramme Editions, 2010).
Pour la pâte : 250 g de farine ; 2 œufs. Pour la garniture : 500 g de myrtilles ; 1 pot de crème acidulée ou de yaourt au lait entier nature.
Faire un puits de farine. Battre les œufs et les incorporer. Mélanger et pétrir, sans ajouter d’eau. Quand la pâte devient ferme et lisse, laisser reposer quelques minutes. Former des petites boules avec la pâte et les aplatir au rouleau jusqu’à ce qu’elles deviennent fines. Avec un verre, découper des cercles. Humidifier le tout avec un pinceau trempé dans l’eau. Placer des myrtilles au centre. Plier et souder les bords pour former des demi-lunes. Laisser reposer trente minutes. Pour la cuisson, placer les pierogis dans de l’eau bouillante pendant une dizaine de minutes environ. Les égoutter. A servir déjà nappé de crème sucrée ou de yaourt, ou accompagné d’un petit pot pour tremper.
(1) Rynek 10, Lublin.
(2) Place Szczepański 8, Cracovie.
(3) 18 rue de Paris, Clichy.