C’est soir d’apéro chez Idir. Jamais en terrasse, toujours au comptoir. On a réussi à convaincre Roger de venir à l’abreuvoir. Depuis qu’il est sorti de zonzon et qu’il crèche chez nous, l’aminche ne touche à aucun biberon. L’autre jour, alors que l’on avait tenté la recette de «saumon à l’oseille» des frères Troisgros, on a cru lui faire plaiz à Roger en ouvrant un Beaune Clos Saint-Landry, premier cru et monopole de la maison Bouchard Père & fils, mais il a posé doucement sa main sur son verre en faisant «non» de la tête. Dix ans de régime sec derrière les hauts murs de la prison ont rendu Roger méfiant sur la bibine. C’est déjà pas simple d’avoir les idées claires quand on recouvre la liberté, alors il n’a pas envie de noyer ses synapses et ses neurones dans le chardonnay ou le Jack.
Au bistrot, il enchaîne les cafés comme les chibanis qui nous entourent et sur lesquels Idir veille avec tendresse et respect. A l’apéro, Roger sirote de l’orgeat tout au bout du zinc, sur le côté qui fait face à l’entrée du rade. D’habitude, c’est notre place attitrée. Mais on lui a d’emblée cédé cet endroit stratégique depuis lequel il peut contempler le va-et-vient à l’intérieur et à l’extérieur sur le boulevard. On ne refait pas un beau voyou, aussi proches soyons-nous. Roger n’aurait jamais été du genre à défourailler, façon bar du T