Juliette serre très fort la main de son père sur le chemin qui la ramène à la maisonnette. Il fait un temps de chien dans l’obscurité. Il bruine, il vente. Marius a passé autour du cou de sa fille son écharpe de laine qui lui monte jusqu’au nez. Depuis qu’elle doit garder le lit jusqu’au terme de sa grossesse, Marie tricote pour son homme, sa fille, son bébé qui doit arriver autour de Noël. Elle sourit quand elle le sent gigoter dans son ventre.
Soupe poireaux pommes de terre
Moi, la cocotte en fonte noire, je soupire d’ennui quand je n’ai pas le cul au chaud sur la cuisinière à réchauffer la soupe poireaux pommes de terre, à mijoter un barbotin ou un chou au lard. A chaque fois que Marius se met aux fourneaux en lui interdisant de se lever, Marie proteste que ce n’est pas une vie que de rester au lit. Mais au fond, c’est un jeu entre eux deux. Car il se démerde plutôt bien question frichti le Marius. Avant, elle n’avait jamais vu un homme cuisiner. C’est le rôle des femmes. Ravauder, laver dans l’eau glacée du lavoir, torcher les mômes, s’occuper de la basse-cour et du jardin, c’est comme ça pour les filles. Un gars, ça sait labourer, couper du bois, forger, monter un mur en pierres sèches. Et voilà qu’elle vit avec son époux qui sait tout ça mais aussi le travail des femmes. Quelque part, sans qu’elle sache vraiment pourquoi, elle le sent encore plus homme quand il fait suer les oignons, qu’il prépare une omelette aux patates avec la salade frisée qu’il épluche avec soin. Juliette bute sur une grosse pie