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Avec l’appli NewNew, paye mon choix

En phase de lancement, l’application permet à n’importe qui de voter – moyennant paiement – pour choisir ce qu’un autre utilisateur, qui récupère l’argent, mangera ou comment il s’habillera. Une idée qui charrie son lot d’effets pervers.
Le genre de dilemmes insurmontables : s’habiller en bleu ou en rouge ? Prendre un chien ou un chat ? Dîner d’une salade ou d’un steak ? Acheter quel ordinateur ? (Nicoleta Ionescu/Getty Images/iStockphoto)
publié le 19 mai 2021 à 5h13

La liberté, le libre arbitre, l’autonomie ? Pff, quel ennui… Alors qu’on peut tellement s’amuser et échanger en y renonçant ou, à l’inverse, en contrôlant ceux de l’autre, en lui imposant des choix. Tout ça moyennant une somme modique. Sachant que dans tous les cas, on est entre adultes consentants, donc où est le problème ? Bienvenue sur NewNew !

Cette pimpante appellation désigne une application, pour l’heure en phase de lancement, élaborée en Californie qui fonctionne selon le principe suivant : un utilisateur (pourvu d’un nombre conséquent de followers, pour que ça vaille le coût) soumet au vote une décision qu’il a à prendre dans sa vie quotidienne avec deux choix possibles : s’habiller en bleu ou en rouge ? prendre un chien ou un chat ? dîner d’une salade ou d’un steak ? acheter tel ou tel ordinateur ? Le genre de dilemme insurmontable auquel s’est retrouvé confronté un écrivain basé au Canada, Brandon Wong, qui raconte à la BBC : «Je n’arrivais pas à choisir entre manger chinois ou coréen, donc ça m’a vraiment aidé. J’ai aussi utilisé les sondages NewNew pour décider de tenues, et bien d’autres trucs personnels.» Wong a par exemple mis au vote le registre littéraire de son prochain texte, les noms des personnages, les intrigues… Le votant peut s’exprimer autant de fois qu’il le souhaite, mais il n’est pas remboursé – 5 dollars (un peu plus de 4 euros) le «bulletin» – si son vote s’avère minoritaire.

«Ils l’ont fait parce que tout le monde a voté pour»

Originaire du Canada (où elle a notamment travaillé pour le chanteur Drake) et désormais installée avec le cofondateur de l’application en Californie, la jeune entrepreneuse Courtne Smith plaide le fun, auprès du site The Cut : «Avec NewNew, vous devenez pour ainsi dire partie prenante de la vie de quelqu’un, parce qu’elle vous donne la possibilité de vous prononcer sur ce qu’elle devrait faire. Dernièrement, des gens ont fini par prendre un chien après avoir débattu des années de l’éventualité, par appréhension. Ils l’ont fait parce que tout le monde a voté pour. On a constaté que le processus transforme quelqu’un d’ordinaire en très divertissant de façon naturelle, parce que vous pouvez contrôler ce qu’ils font. Pour nous, il s’agit de bâtir une plateforme à la fois immersive et extrêmement interactive où les deux parties se sentent récompensées et diverties.»

Ce fun pour tous présente tout de même des failles. D’abord, pas besoin d’être expert-comptable pour entrevoir la jolie petite rente à portée de main de tout détenteur d’un portefeuille conséquent de followers, à commencer par les influenceurs. Lesquels, donc, peuvent monnayer d’être à leur tour influencés… Bah, peut-on se dire : obéir contre rémunération, rien de nouveau sous le soleil, et la téléréalité comme les réseaux sociaux nous ont déjà largement habitués à avoir (ou à donner) vue imprenable sur le quotidien de certains (ou du sien), on assiste juste à une jonction des deux. Mais quid de la motivation que suppose le fait de payer pour essayer d’influer sur les choix d’autrui ? Besoin d’avoir l’impression de compter, vie par procuration, désir forcené d’interagir avec la personne suivie, sentiment de puissance du marionnettiste… Le profil psychologique du votant de NewNew n’est pas forcément rassurant. Certains y croient en tout cas dur comme fer : l’appli compte parmi ses investisseurs Peter Thiel, le cofondateur de PayPal, Andreessen Horowitz, le fonds d’investissement spécialisé dans la tech, et l’acteur Will Smith.