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GIF: des années 80 à la mort de son inventeur, la boucle est bouclée

En 1987, l’ingénieur américain Stephen Wilhite mettait au point un format d’image novateur sur Internet. De leur naissance à leur descente aux enfers, avant leur retour en grâce, «Libé» ranime l’histoire de ces vidéos répétitives.
Les GIFs sont plus vieux que le World Wide Web lui-même. De trois ans pour être exact. (Chris Cone/AP.Sipa)
publié le 25 mars 2022 à 8h00

Michael Jackson en train de manger du pop-corn, Obama faisant tomber le micro, le sourire forcé de Michael Scott dans the Office… Derrière ces images à l’animation éternellement répétitive qui ponctuent la plupart des conversations en ligne, se cachait Stephen Wilhite. Cet ingénieur en informatique de 74 ans est décédé la semaine dernière du Covid-19, près de quatre décennies après avoir mis au point le GIF.

A l’aube de 2022, certains les disent désormais réservées aux boomers. Ce que la mort de leur créateur et la cascade d’hommages rendus (en GIF bien sûr !) nous rappellent, c’est que leur histoire est à leur image : cyclique.

Années 80 : les prémices du GIF

Posons les bases : les GIFs sont plus vieux que le World Wide Web lui-même. De trois ans pour être exact. Lorsque en 1986, Stephen Wilhite se penche pour la première fois sur le «Graphics Interchange Fomat», les internautes doivent encore payer des abonnements horaires pour lire leurs mails.

Exactement le genre de service proposé par la boîte de cet ingénieur en informatique alors âgé de 38 ans, CompuServe. Sa mission, à l’époque ? Réussir à créer un format d’image permettant d’afficher les cours de la bourse, les cartes météorologiques… Et pour ce faire, il se confronte à un triple défi : rendre ce format compatible avec tous les ordinateurs, avoir une belle qualité d’image et, surtout, occuper le moins d’espace possible sur les PC.

Auprès de the Verge, sa femme Kathaleen se souvient de cette période agitée pour son mari : «En fait, il a créé le GIF à la maison et l’a apporté au travail après l’avoir perfectionné», retrace-t-elle. Avant d’ajouter : «Il imaginait tout en privé dans sa tête et se mettait ensuite à le programmer sur l’ordinateur.» Et ses neurones font germer une idée : celle de recourir au Lempel-Ziv-Welch (LZW), un algorithme permettant d’identifier les motifs répétitifs d’une série d’image et de les simplifier. L’idée marche et les GIFs voient le jour le 15 juin 1987. Le premier d’entre eux ? Un avion.

Années 90 : plus de GIFs pour plus de biff ?

Et pour cette nouvelle invention, le décollage est immédiat. L’Internet des années 90 est encore un joyeux capharnaüm naissant, composé de sites remplis de typographies Comic Sans, de fonds sonores bruyants et des fameux mots «site en construction». Le GIF permet d’incarner ces pages de façon un peu plus personnalisée. Intégrer des titres stylisés, des graphes animés ou toute une panoplie d’images kitschouilles… Il adopte vite une fonction décorative. Rapidement, certains deviennent viraux. L’un des plus connus de l’époque est aussi le préféré de Stephen Wilhite : le Bébé qui danse.

Un problème toutefois fait planter le système. Alors que de plus en plus de développeurs mettent en place des logiciels recourant aux GIFs, l’algorithme LZW s’interpose. Ce dernier est en réalité breveté par une société appelée Unisys Corp qui, face à la frénésie du moment, veut désormais percevoir une redevance, notamment de la part des grandes entreprises.

Hors de question pour les développeurs. Le 5 novembre 1999, ils se rebiffent lors de la journée Burn All GIFs, littéralement, «Brûlez tous les GIFs». Le principe est simple : ils suppriment alors toutes les images qu’ils possèdent sous ce format. Au milieu des terres brûlées et remplacées par un nouveau venu, le PNG, la création de Stephen Wilhite part en fumée.

Années 2000 : le GIF, ce meme symbole

En 2004, le nuage de cendres se dissipe, les brevets d’Unisys s’envolant cette année-là. Stephen Wilhite, entre-temps devenu l’architecte en chef de la société America Online (aujourd’hui AOL), a pris sa retraite après une attaque cérébrale. Il s’adonne à ses autres passions : les voyages, le camping avec sa femme et la construction de minitrains dans son sous-sol. Les GIFs aussi se remettent sur les rails.

Entre le développement des smartphones et l’émergence des réseaux sociaux comme Reddit (2005), Twitter (2006) et Tumblr (2007), leur utilisation s’envole, boostée par la culture meme émergeante à l’époque. Sur Tumblr, les internautes les utilisent pour raconter des histoires, faire circuler l’actualité, envoyer des messages… Des sous-forums entiers consacrés à leur partage se forment sur Reddit. Tout bon geek dispose ainsi, quelque part sur son ordi, d’un fichier baptisé «GIF de réaction», lui permettant de dégainer ses vignettes préférées en un clic de souris.

YouTube, arrivé en 2005, apporte aussi son tourbillon de vidéos virales, par la suite encapsulées par les GIFs, comme celui de «Leave Britney Alone». Bref, le GIF s’érige en symbole.

Années 2010 : au pif, «jif» ou «guif» ?

Tant et si bien qu’en 2012, le GIF culmine. Cette année-là, l’Oxford English Dictionary le nomme «mot de l’année». Quelques mois plus tard, en 2013, Stephen Wilhite reçoit un prix pour l’ensemble de sa carrière aux Webby Lifetime Achievement Award. Auprès du New York Times – et à la surprise générale – il prend position sur une question devenue controversée : la prononciation. Est-ce «guif» ou «jif» ? Implacable, il clame : «L’Oxford English Dictionary accepte les deux prononciations. Elles sont fausses. C’est un “G” doux, prononcé “jif”. Fin de l’histoire.»

En plus des memes, le GIF infuse également de plus en plus dans la communication en ligne. Un Joey de Friends pouffant ou un Trump faisant la moue permettent désormais de signifier son hilarité ou, au contraire, sa désapprobation. Plus forts qu’un simple «lol», plus variés que les émojis, les GIFs se voient ainsi consciencieusement répertoriés, classés, triés en fonction des émotions qu’ils représentent par des internautes chevronnés. Tumblr, Giphy ou encore Tenor en sont désormais des bases de données. Rien qu’à la fin de 2019, Giphy comptait 700 millions d’utilisateurs quotidiens. De quoi allécher Facebook qui n’a pas hésité à sortir les billets en 2020 pour le racheter… avant d’être sommé de le revendre par un régulateur britannique en novembre.

Que pensait Stephen Wilhite de ce succès ? Sur le mur d’hommages virtuel créé en sa mémoire, sur le site Megie Funeral Home, des anonymes saluent un homme «très humble, gentil et bon» et ce «même avec tous ses accomplissements». Mais sa femme Kathaleen, elle, le voyait bien : les GIF, poursuit-elle auprès de the Verge, étaient la chose qui le rendait le plus fier.