Menu
Libération
«Un océan de trash»

Interdiction des réseaux sociaux aux moins de 15 ans, couvre-feu numérique à 22 heures… les préconisations de la commission TikTok

Des parlementaires ont planché sur les effets dévastateurs de l’application chinoise et dévoilent ce jeudi 11 septembre leur rapport final. Le président de la commission a annoncé saisir la justice pour «mise en danger» des utilisateurs.

TikTok a des effets dévastateurs sur la jeunesse, considèrent les parlementaires qui rendent leur rapport le 20 septembre 2025. (Andbz/ABACA)
Publié le 11/09/2025 à 7h37, mis à jour le 11/09/2025 à 7h42

Un rapport qui enfonce le clou. Oui, TikTok a des effets dévastateurs sur la jeunesse, considèrent les parlementaires qui rendent ce jeudi 11 septembre leur rapport. Ils préconisent donc – ce ne sont pas les premiers – une interdiction des réseaux sociaux aux moins de 15 ans. Une telle interdiction, déjà souhaitée par l’Elysée, permettrait «de donner un signal à la fois aux enfants et aux parents qu’avant 15 ans», les réseaux sociaux, «ce n’est pas anodin», résume auprès de l’AFP la députée Laure Miller (EPR), rapporteuse de cette commission d’enquête parlementaire.

Lancée en mars, la commission a auditionné pendant plusieurs mois des familles de victimes, responsables de réseaux sociaux et influenceurs pour décortiquer l’algorithme de TikTok, application ultrapopulaire chez les jeunes dont le design «a été copié par d’autres réseaux sociaux», rappelle Laure Miller.

Elle a été créée dans la foulée de l’assignation en justice de TikTok, fin 2024, par un collectif de sept familles l’accusant d’avoir exposé leurs enfants à des contenus pouvant les pousser au suicide.

Vers une interdiction avant 18 ans ?

«C’est compliqué pour nous, parents, de modérer tout ça», explique à l’AFP Géraldine, 52 ans, qui fait partie des plaignants et souhaite rester anonyme. En février 2024, cette mère de famille a perdu sa fille, Pénélope, qui s’est suicidée à l’âge de 18 ans.

Après son décès, elle avait découvert les vidéos de scarification que sa fille publiait et consultait sur TikTok. «Ce n’est pas TikTok qui a tué notre fille, parce que de toute façon, elle n’allait pas bien», explique Géraldine. Mais pour cette mère qui dénonce aujourd’hui le manque de modération en ligne, le réseau a «enfoncé» sa fille dans un mal-être. De son côté, TikTok assure régulièrement faire de la sécurité des jeunes «sa priorité absolue».

Le rapport recommande d’aller jusqu’à une interdiction avant 18 ans si, d’ici trois ans, «les réseaux sociaux ne respectent pas de façon satisfaisante leurs obligations juridiques», notamment vis-à-vis du règlement européen sur les services numériques (DSA).

Bulles nocives

Devant la commission, les responsables de TikTok, propriété du groupe chinois ByteDance, avaient mis en avant une modération dopée à l’intelligence artificielle qui aurait permis à la plateforme de retirer proactivement 98 % des contenus enfreignant ses conditions d’utilisation en France l’an dernier.

Mais pour les députés, ces efforts sont insuffisants, voire «défaillants», avec des règles «très faciles à contourner». «Quand vous tapez le mot “suicide”, ils vous indiquent d’appeler un numéro d’aide : ils se cachent derrière ça pour dire qu’ils protègent les enfants», regrette Géraldine, alors que ces contenus restent accessibles via d’autres mots-clés ou émojis.

Entre septembre 2023 et décembre 2024, le nombre de modérateurs francophones de TikTok a baissé de 26 %, selon des données issues de ses rapports de transparence. Les contenus néfastes continuent ainsi à pulluler, couplés à des algorithmes de recommandations particulièrement puissants qui peuvent enfermer les jeunes dans des bulles nocives, relève la commission d’enquête.

D’autres impacts négatifs du réseau sur les mineurs incluent, selon Laure Miller, perte de l’attention et de la concentration, perturbation du sommeil ou problèmes d’estime de soi, en particulier pour les adolescentes confrontées à des standards de beauté inatteignables.

«Couvre-feu numérique»

S’agissant des 15-18 ans, le rapport propose l’instauration d’un «couvre-feu numérique» rendant les réseaux sociaux inaccessibles de 22 heures à 8 heures. Il préconise aussi une vaste campagne d’information sur leurs risques, suivie de la création d’un «délit de négligence numérique» pour «les parents irresponsables».

L’interdiction des réseaux sociaux aux moins de 15 ans est un cheval de bataille du président Emmanuel Macron. De récentes lignes directrices de la Commission européenne ont «ouvert la porte à une réglementation nationale», dont «la clé est la mise en place d’un dispositif de vérification de l’âge à l’inscription», selon Laure Miller.

De telles mesures butent toutefois sur les réticences des plateformes, des limites techniques et un risque d’atteinte aux libertés individuelles. Une loi française sur la majorité numérique, adoptée à l’été 2023, exige déjà une autorisation parentale pour l’accès des moins de 15 ans aux réseaux sociaux mais elle n’est jamais entrée en application jusqu’à présent faute de certitude sur sa conformité au droit européen.

TikTok et justice

Le président de la commission parlementaire sur TikTok, Arthur Delaporte (PS), a annoncé jeudi avoir saisi la justice pour «mise en danger de la vie» des utilisateurs de l’application, ultrapopulaire chez les jeunes mais accusée de nuire à leur santé mentale. «A l’issue de cette commission, le constat est sans appel : TikTok a délibérément mis en danger la santé, la vie de ses utilisateurs. C’est pourquoi j’ai décidé de saisir la procureure de la République de Paris», a déclaré le député à la chaîne Franceinfo.

«Il me semble qu’il y a des infractions de nature pénale» et aussi un délit de «parjure» de la part des dirigeants de TikTok, a ajouté Arthur Delaporte. Ils «ont dit qu’ils n’avaient connaissance de rien» concernant certaines pratiques sur la plateforme alors que ce serait faux, a-t-il estimé.

Mise à jour avec la saisie de la justice par Arthur Delaporte