Addictions France a de nouveau obtenu gain de cause face à Meta : ce mardi 19 août, l’association a annoncé que la justice française a contraint le géant américain, maison mère de Facebook et Instagram, à retirer 26 contenus illicites faisant la promotion de l’alcool sur les réseaux sociaux de ses plateformes en France.
La décision date de début avril, mais elle n’a été rendue publique que ce mardi pour des raisons «de calendrier», d’après Franck Lucas, responsable du pôle projets politiques publiques de l’association de prévention des addictions (alcool, tabac, jeux, autres drogues, etc.). Il explique également que l’association reconnue d’utilité publique attendait un éventuel appel de Meta pour annoncer la décision. A ce jour, selon lui, la société de Mark Zuckerberg ne l’a toujours pas fait.
Les contenus en question, téléchargeables depuis le communiqué, sont des vidéos et photos d’influenceurs où des marques d’alcool sont clairement identifiables et mises en valeur. Avec un verre de Spritz à la main ou une bouteille de vodka à mettre dans la sauce des pâtes, ils sont treize influenceurs à avoir été épinglés. Parmi eux, FastGoodCuisine (2,3 millions d’abonnés sur Instagram), le créateur de la célèbre dark kitchen «Pepe Chicken» ou l’animatrice Malika Ménard (387 000 d’abonnés sur Instagram). Cette décision de justice est jugée «remarquable» par l’organisation, car ces types de contenu sont très variés, très nombreux, et difficiles à tracer. Un rapport publié l’an passé indiquait qu’«en deux ans et demi, les associations Avenir santé et Addictions France ont relevé plus de 11 300 contenus valorisant l’alcool sur les réseaux sociaux».
Un flou juridique sur Internet
Par ailleurs, les mineurs, massivement présents sur les médias sociaux, voient passer ces contenus où la consommation d’alcool est mise en scène. Or, si certains sont très clairs dans leur dimension publicitaire, d’autres sont plus insidieux. Cette décision de justice «contribue à donner du cadre au secteur de l’influence et aux marques d’alcool qui ne peuvent plus s’abriter derrière le prétexte des zones grises de la loi Evin».
La loi est censée être claire : votée en 1991, elle limite et contrôle les publicités d’alcool. Il est interdit d’en faire la promotion à la télévision, au cinéma et dans l’espace public, et encadre strictement son contenu et ses supports autorisés. Mais la loi Evin a été «vidée de sa substance», d’après Franck Lecas. En 2009, la publicité de spiritueux est autorisée sur Internet. En 2016, une modification permet d’exclure de son périmètre d’application les contenus journalistiques évoquant l’alcool au travers de l’évocation d’une région de production, d’un terroir, etc., toujours au nom de la valorisation du patrimoine et de la culture nationale. «Les lobbys alcooliers sont à l’origine de toutes les modifications de la loi Evin», insiste Franck Lecas.
Ces fameux groupes d’intérêts sont très au courant du flou de la juridiction d’Internet. Les marques d’alcool sont par exemple autorisées à mettre en valeur la fabrication de leurs boissons. En 2023, la marque de champagne Dom Pérignon sort par exemple une bouteille «imaginée» en collaboration avec le célèbre rappeur SCH, qui est largement relayée sur les réseaux sociaux. Mais, l’année suivante, à la suite d’un signalement d’Addictions France, ces contenus ont été supprimés sur Instagram.
«Meta ne collabore pas»
Ça n’est pas la première fois que la justice française condamne Meta pour des faits de ce type. Libé en avait parlé : en 2023, une première décision de justice enjoignait déjà les plateformes du groupe américain à supprimer les contenus et à transmettre à Addictions France l’identité des influenceurs coupables de publicité. «Ça n’a pas été fait, constate Franck Lecas. Après la première condamnation, ils ne nous ont envoyé que des adresses IP.» L’association a effectivement besoin de ces noms pour pouvoir assigner en justice les influenceurs présumés coupables de ces infractions. Or, depuis la condamnation par le tribunal de Paris, Meta «n’a rien transmis».
«Meta ne collabore pas, ils mettent des semaines à répondre et quand ils le font, ils disent ne pas comprendre la requête», dénonce encore Franck Lecas. Si les médias sociaux font la sourde oreille, «ça bouge du côté des fédérations d’influenceurs». Aussi, «environ la moitié des influenceurs contactés par Addictions France suppriment le contenu illicite et ne réitèrent pas». L’occasion a certes été manquée en 2023 lors du vote de la loi de régulation de l’influence, qui s’est contentée de rappeler la loi Evin, et de recommander la «neutralité» dans la publicité d’alcool. Franck Lecas le déplore : «On ne peut pas être un influenceur neutre, cela va à l’encontre de l’idée même d’influence.» D’autant que certains des influenceurs épinglés sont par ailleurs détenteur du «certificat d’influence responsable», délivré depuis par l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP).
La condamnation de Meta est «une brique» qui «donne raison juridiquement» aux professionnels de l’addiction, conclut Franck Lecas. L’association a quand même «bon espoir» que la France suive l’exemple de la Norvège ou de la Lituanie, et interdise totalement la publicité d’alcool sur Internet afin de préserver, notamment les mineurs, des ravages de la boisson.