A cause d’eux Jean Messiha et Marlène Schiappa ont dû passer leurs comptes Twitter en privé. Pierre Ménès, lui, a reçu plus de 25 000 messages en une soirée. Depuis une grosse semaine, les Pessi, communauté excentrique d’internautes spécialisés dans les raids numériques, agitent Twitter. Un phénomène courant sur Internet, décrypte Laura Gabrielle Goudet, maîtresse de conférences à l’université de Rouen et experte en discours numériques.
D’où viennent les raids numériques ?
C’est difficile de dégager une origine précise mais les Pessi héritent de l’histoire chargée en raids numériques d’Internet. Avant 4chan, on peut citer, dans les années 2000, le site Something Awful. Ses membres s’organisaient pour se connecter massivement sur des sites internet et les faire fermer. En France, on a entendu parler du forum 18-25 sur jeuvideo.com, en 2017, ou encore du Gamergate en 2014 [l’équivalent du #MeToo du monde du gaming, ndlr]. En général, ces raids se déroulent sur des sites internet visés, ou alors sur Facebook et Twitter. Mais, plus récemment, on a vu des raids «positifs» intervenir sur Twitch : des streamers incitaient leur public à se rendre sur le compte d’un autre, moins connu, pour le faire monter en visibilité.
Qui participe à ce genre d’assaut et pourquoi ?
Le profil typique du troll est masculin, très jeune, dans la vingtaine à peine. Les communautés organisant des raids ne se forment pas toujours pour défendre des idées communes. Ce qui prime, avant tout, c’est le côté amusant et la connivence. Se retrouver entre soi, dans une communauté, pouvoir faire une action en groupe… Dans le cas des Pessi, on voit que cet esprit de communauté est très présent, avec l’usage de termes communs comme «goat» [The Greatest of All Time, ndlr], «sois digne», ou l’utilisation de mèmes.
C’est donc difficile, pour les Pessi, de parler de «militantisme numérique» ?
Ce qui ressort de leur action, c’est plutôt un mal-être, un ras-le-bol. L’idée, c’est d’enfin pouvoir faire justice soi-même, parce qu’on est déçu par la politique, on est déçu par des gens en qui on avait confiance et qui se retrouvent accusés d’agressions sexuelles, comme Pierre Ménès. Marlène Schiappa, Jean Messiha ont également été visés par les Pessi et cristallisent, d’une certaine manière, cette déception. C’est le tribunal de la plèbe !
Les Pessi ont pour règle d’or de ne jamais insulter. Est-ce que ça rend leurs raids moins graves ?
Non. A vrai dire, je m’inquiète même de ces «raids bienveillants» que certains Pessi mènent pour aider des internautes. Quand on reçoit une cinquantaine de messages d’inconnus, il y a un effet de sidération. Alors pour qui se prend 4 000 messages, ça peut avoir des conséquences encore plus graves. Imaginez, dans le réel, recevoir 4 000 lettres dans votre boîte aux lettres ! Même s’il n’y a pas d’insultes, dans les raids, le nombre effraie.
D’un point de vue juridique, les raids sont interdits. Est-ce qu’ils sont vraiment punis dans les faits ?
C’est compliqué. La première raison, c’est la difficulté à retrouver la personne derrière le compte anonyme. Quand on connaît cette difficulté, déployer tout un système de recherches pour retrouver un internaute qui aurait fait un tweet parmi une rafale de 20 000, cela paraît délicat.