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Racisme

IA : une mannequin américano-taïwanaise s’émeut d’une photo modifiée où elle apparaît blanche

La modèle Sheeren Wu a dénoncé une entreprise de «déshumanisation» après que la publication de la photo sur Instagram par le créateur Michael Costello, qui nie sa responsabilité. Une accusation qui met à mal les jeunes efforts de l’industrie de la mode pour plus de diversité et d’inclusivité.
Publication TikTok de Sheeren Wu dans laquelle elle montre la photo originale de son défilé à droite, et celle altérée par l'IA à gauche. (Capture d'écran Tik Tok shereenwu)
publié le 7 novembre 2023 à 8h30

Encore un cas qui questionne l’arrivée de l’intelligence artificielle dans l’industrie de la mode. Sheeren Wu, jeune mannequin américano-taïwanaise de 21 ans, s’est saisie le 28 octobre de son compte TikTok pour dénoncer une story Instagram du créateur de mode américain Michael Costello. Dans ce post, le styliste connu pour ses collaborations avec Beyoncé ou Jennifer Lopez, avait posté une photo de la jeune femme défilant pour lui, à l’occasion de la présentation de la Art Hearts Fashion, du 19 au 22 octobre à Los Angeles. Or, dans sa vidéo TikTok, Sheeren Wu montre que, sur la photo postée par le créateur, son visage aux traits asiatiques a été remplacé par celui d’une femme de type caucasien, généré par une intelligence artificielle. «J’ai récemment défilé pour Michael Costello mais ce n’est pas moi qu’il a posté sur Instagram. Il s’agit d’un grand designer suivi par 1,7 million de personnes. Faire un montage de mon visage, effacer mes origines est un manque de respect», dénonce la jeune femme dans sa vidéo qui cumule 1,8 million de vues.

Elle montre ensuite, dans la même séquence, une suite de messages privés échangés avec le désigner sur Instagram. Il se défend en expliquant qu’il n’est pas à l’origine de la modification du visage et que Sheeren Wu devrait se tourner vers le photographe. Ce dernier, contacté par la mannequin, a nié toute implication. «Je sais qu’en tant que mannequin, je suis remplaçable, explique ensuite Sheeren Wu. Mais il faut savoir que je ne suis pas payée pour ces défilés. Je le fais donc pour les photographes, l’exposition. Donc, en ne montrant pas le visage, [Michael Costello] profite des mannequins qui ne jouissent pas de son influence.» En d’autres termes, non seulement la jeune femme accuse le styliste de racisme, de «déshumanisation» mais encore de profiter de mannequins non représentées en agence. Elle ajoute que le maquilleur, le coiffeur ainsi que le photographe sont tous aussi lésés.

Mettre à mal le progrès

Le jeudi 2 novembre, Michael Costello, qui a déjà fait l’objet d’accusations de racisme, de harcèlement moral et sexuel mais aussi de body-shaming (humiliation d’une personne en raison de son apparence), s’est fendu d’un communiqué posté sur Instagram puis effacé au bout de vingt-quatre heures, note le Guardian, dans lequel il indique que la photo en question lui a été envoyée par un fan – version différente de celle adressée à Sheeren Wy – avant d’évoquer d’éventuelles poursuites contre Wu pour fausses allégations. Cette dernière envisage, elle, de se tourner vers un avocat.

Après les retouches Instagram, c’est donc maintenant l’intelligence artificielle qui est sur la sellette tant elle véhicule biais racistes et sexistes dans le monde du mannequinat. Interrogée par le Guardian, Susan Scafidi, la directrice du Fashion Law Institute de Fordham (New York), centre universitaire spécialisé dans les questions juridiques relatives à l’industrie de la mode, abonde. Elle estime même que l’histoire de Sheeren Wu illustre la possibilité pour les programmes d’intelligence artificielle absorbant les standards de beauté normés, d’effacer complètement les origines des mannequins et, partant, de mettre à mal les progrès de l’industrie quant à l’inclusivité et à la diversité sur les podiums. Elle ajoute : «Les mannequins dans la situation de Wu peuvent se tourner vers les lois qui protègent les droits d’auteur des photographes mais cela ne s’étend malheureusement pas aux modèles pris en photo.»

Grincer des dents

En avril 2023, la marque Levi’s annonçait sa décision de faire appel à une agence de création par intelligence artificielle pour, au côté des mannequins humains, permettre plus de diversité et d’inclusivité dans de futures campagnes. L’initiative avait fait grincer des dents : pourquoi ne pas faire appel à de vraies personnes aux couleurs de peau et physiques différents ? Par ailleurs, de plus en plus d’agences de photographies produites par intelligence artificielle se spécialisent dans ce type de services. C’est le cas de la néerlandaise Lalaland.ia (à laquelle Calvin Klein ou Tommy Hilfiger ont déjà fait appel, rappelle Sciences et Avenir) ou encore Deep Agency – qui est encore en version bêta, soit dans sa toute dernière phase de développement.