A 42 ans, Sasha (1) ne pensait pas vraiment passer par la case coming out auprès de ses parents âgés, proches des 80 ans. Du moins pour leur faire part de sa bisexualité. Et puis, à l’occasion d’une marche avec sa mère, à l’automne, la journaliste parisienne a saisi l’occasion d’une discussion sur l’attirance pour les femmes pour mettre le sujet «sur le tapis». «Je lui ai dit que moi aussi. Elle est un peu tombée de sa chaise et ne comprenait pas vraiment, malgré mes insinuations depuis plus de vingt ans, narre-t-iel. On en a jamais reparlé.» Sasha est aussi une personne non binaire, c’est-à-dire dont l’identité de genre s’inscrit en dehors du masculin et du féminin. A ce propos, la quadra a du s’y prendre à deux fois pour faire passer le message.
«La première fois, j’étais chez mes parents. On parlait des questions de genre et ils ne comprenaient pas bien les débats actuels, poursuit-iel. J’en ai profité pour leur dire que je ne m’éprouvais ni comme une femme ni comme un mec. Ils ne comprenaient toujours pas.» Jusqu’au dernier concours de l’Eurovision mi-mai, qui a consacré l’artiste suisse non-binaire Nemo. «On débriefait au téléphone l’Eurovision. Elle avait kiffé le show de Nemo. Je lui ai dit que c’était cool que les gens enby [diminutif de non binaire en anglais, ndlr] comme moi aient de la visibilité par ce biais. Et là, elle m’a répondu : “Ouais mais on est tous un peu non binaires en fait.” Elle m’a ensuite raconté qu’elle avait envoyé chier une de ses copains réac qui tenait un discours à la Ségolène Royal sur la déchéance de l’Eurovision, abonde Sasha. J’étais un peu déçu⋅e mais en même temps content⋅e que ce ne soit pas un sujet.»
«C’est presque un luxe»
Pour de nombreuses personnes LGBT+ qui souhaitent vivre leur identité sexuelle ou de genre au grand jour – et qui en ont la possibilité sans se mettre en danger –, faire son coming out reste encore aujourd’hui un moment de vérité, à mi-chemin entre le rite de passage, l’épreuve stressante et le soulagement libératoire. Les personnes queers ne sont pas toujours en mesure d’en évaluer les conséquences familiales, amicales, sociales ou professionnelles. D’autant plus lorsqu’elles vivent dans un environnement conservateur et menaçant à leur égard.
Témoignage
«Faire son coming out, c’est presque un luxe de personnes privilégiées, souligne Xavier Héraud, journaliste et auteur du tout récent Petit guide du coming out, aux éditions First, publié à l’occasion du mois des fiertés. Même s’il y a plus de représentations gays et lesbiennes dans le monde médiatique, culturel ou politique, même si le contexte sociétal est moins hostile, c’est toujours un enjeu pour les personnes LGBT. Il y a encore des situations dans lesquelles sortir du placard c’est se mettre en danger, notamment pour les personnes trans. La sécurité est toujours un paramètre à prendre en compte.»
Dans un sondage Ifop publié en 2018, une majorité d’homosexuel·les et bis interrogé·es (autour de 80 %) déclarent avoir au moins un parent au courant de leur orientation sexuelle. C’est, plus généralement, leur mère et moins souvent le cas pour les personnes bisexuelles. Mais cela ne veut pas dire que les parents mis au parfum acceptent.
«Tout sauf un événement unique»
Au travail, la proportion de personnes gays, lesbiennes ou bis out est inférieure à 50 %. En cause : la crainte du stigmate et de ses diverses répercussions familiales, sociales ou professionnelles, du non-dit au rejet. D’où l’intérêt pour les proches d’envisager la possibilité qu’un fils, une amie, un collègue ou une voisine puisse évoquer son homosexualité ou sa transidentité et de savoir comment l’accueillir et l’accompagner. «Un coming out est tout sauf un événement unique, ça s’inscrit dans une continuité qui nécessite pour les accompagnants de penser qu’au moment où il est fait, ils vont devoir accueillir une personne qui a cheminé pendant des années, que ce n’est peut-être pas la première fois qu’elle en parle, qu’elle en est peut-être à son 150e coming out et qu’il va falloir l’accompagner toute sa vie», soulève l’association Psygay.e.s, un réseau de professionnels de l’écoute et de la psychothérapie.
Elle complète : «Accueillir, c’est aussi éviter d’être dans un discours condescendant, ne pas ramener les choses à soi et être capable de montrer qu’on est aimant, même si ça prend du temps pour comprendre ce que la personne a vécu d’ici là.» Tout cela peut prendre un peu de temps. En amont, si l’on pressent qu’une personne de notre entourage pourrait sortir du placard, il est également possible de préparer le terrain ou du moins montrer qu’on est favorable à l’accueil de cette parole. Sans forcément tendre des perches grossières. «Il ne faut pas forcer la main et ne jamais faire advenir le sujet sur le tapis si on sent une fragilité. En fait, il faut laisser la personne aller à son rythme. On peut laisser traîner des livres ou des DVD de films pour montrer qu’on est ouvert sur le sujet, notamment s’ils véhiculent des représentations LGBT positives», conseille le médecin généraliste et écrivain Baptiste Beaulieu.
On peut également laisser la porte ouverte en demandant si ce fils ou cette amie a quelqu’un et pas un petit copain ou une petite copine. Autrement dit, laisser le champ ouvert et libre à toutes les possibilités. Baptiste Beaulieu ajoute : «Si un de nos proches est concerné, on peut enfin montrer devant lui qu’on est un allié, qu’on ne laisse pas passer une blague LGBTphobe qui la ramène à sa condition de minorité.»
«Renverser son sentiment d’isolement»
«Pour accepter que son enfant est LGBT+, cela demande parfois un peu de temps, souligne Xavier Héraud. On peut se renseigner ou se tourner vers des assos. Quand j’ai fait mon coming out en 2000, mes parents avaient regardé tous les Ça se discute. C’était l’époque des talk-shows, c’était un peu compassionnel et sensationnaliste, mais ça a permis d’en discuter après tout.» «On conseille de venir échanger avec d’autres personnes de manière bienveillante sur leur vécu pour ne pas rester isolé», avance pour sa part Antony Debard, le porte-parole de Contact en Ile-de-France.
A Paris, au centre LGBTQI+, l’association propose par exemple deux à trois fois par mois des groupes de parole, ouverts aux proches de personnes LGBT+, en plus d’une ligne d’écoute anonyme et des entretiens individuels ou en famille. L’asso OUTrans organise, elle, des groupes de parole réguliers pour les proches – les parents ou les conjoints notamment – de personnes trans.
«Quand on est parent d’un enfant trans par exemple, renchérit Baptiste Beaulieu, l’important c’est de renverser son sentiment d’isolement ou de solitude et de lui permettre de rencontrer des adelphes, se rapprocher des soignants safes et ne pas laisser son enfant s’isoler.» En résumé : trouver sa place sans verser ni dans l’indifférence, ni dans la curiosité excessive. Et surtout, partir du principe que ce proche sait ce qui est le mieux pour soi-même.
(1) Le prénom a été modifié.