Et si c’était le blase de la malédiction sociale ? «Si j’avais su qu’un jour un Kevin me rapporterait plus de 2 millions d’euros !» balance par exemple un proprio à un agent immobilier qui a géré son bien. Rassurez-vous, le prénom en détresse, qui ne demande qu’à sortir de la longue nuit du mépris, a peut-être trouvé son messie. Sauvons les Kevin, c’est le titre d’un documentaire réalisé par Kevin Fafournoux, motion designer de 37 ans, diffusé ce samedi 22 mars sur Paris Première. Son objectif : déconstruire les clichés et dénoncer le traumatisme collectif de toute une génération. Kevin Fafournoux veut libérer ses congénères victimes de tout un tas de mots infamants : «beauf», «Nord Pas-de-Calais», «coupe mulet», «geek», «débile», «passionné de tuning», «gros kéké» ou encore «ennemi de la langue française».
Comment en est-on arrivé là ? Au départ, Kevin, c’est une mode du début des années 90. Les K. règnent en maître sur l’industrie du divertissement mondialisée dominée par les Ricains. Importé par les Irlandais un siècle plus tôt, le nom est en haut de l’affiche. L’acteur Kevin Costner crève l’écran dans Danse avec les loups, Bodyguard et Robin des Bois. Le personnage de Kevin McCallister, interprété par Macaulay Culkin, devient un étendard de la jeunesse avec Maman, j’ai raté l’avion ! et Kevin Richardson est le leader du boys band Backstreet Boys.
Paf. En 1991 Kevin est le prénom masculin le plus donné en France. En 1994, il atteint son pic : près de 15 000 bambins y ont droit. Le documentaire, volontairement kitsch, nous apprend par l’intermédiaire du sociologue Baptiste Coulmont que c’est un nom de prolo qui se propage «à un moment où les classes populaires ont conquis leur autonomie culturelle et peuvent choisir des prénoms qui sont en accord avec leurs goûts». Sauf que le goût des ouvriers et des employés, c’est le dégoût des bourgeois. Kevin, c’est le blase du petit blanc né sous la mauvaise étoile. Le stigmate est international: on le retrouve au Danemark, en Suisse, en Allemagne, en Belgique, ou au Canada…
En France, Kevin Fafournoux a lancé son projet fédérateur sur la plateforme de financement participatif Ulule et récolté 16 000 euros (objectif atteint à 200 %). Quid de l’anxiété causée par ce prénom qui pousse certains à donner une fausse identité chez Starbucks, sur les applications de rencontres ou encore à changer d’état civil ? Kevin Bergon, psychologue à Neuilly-sur-Seine, avoue avoir hésité à mettre son nom sur sa plaque. «Je suis moi-même passé par ces épisodes douloureux. Mais on réagit avec ce qu’on est. Et si on est solides sur le plan narcissique, on va trouver des stratégies de contournement», notamment par l’humour.» Deux amis s’en amusent : «Oui, beauf mais classe ! Avec le doigt [levé ndlr], très important le doigt !»
Aujourd’hui, le réalisateur et les plus de 500 Kévin interviewés aimeraient que la discrimination par le prénom et l’origine sociale entrent enfin dans le droit français.