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Libération
Chaud devant

J’ai testé pour vous : les bains russes à Paris

Se faire fouetter avec des branches de bouleau dans un sauna dont la température va de 50 à 75°C avec une humidité à 60 %, avant de plonger dans un bain d’eau glacée, c’est possible dans le XVe arrondissement.
Notre maître de vapeur utilise un «vénik», un rameau de bouleau et d’eucalyptus. (Institut Kupala)
publié le 6 novembre 2023 à 13h03

Les banya, les bains russes, on en avait eu un aperçu à New York il y a une vingtaine d’années. Souvenir d’un endroit sombre, traversé de bonshommes à mine patibulaire, qui se renversaient des tonneaux d’eau glacée sur la tête sans broncher et qui se frappaient bras et cuisses façon catcheurs avant l’entrée sur le ring. La scène de tentative de meurtre sur Nikolai-Viggo Mortensen dans les Promesses de l’ombre de Cronenberg aurait pu être tournée là. Ambiance sueurs froides au sauna, chaud-froid dont on était ressortie bien rincée. Hé quoi, on a dit oui à la proposition de faire un banya à Paris. Il faut dire que le package censément «purifiant, relaxant et tonifiant» comprenait un fouettage aux rameaux de bouleau. Au fin fond du XVe arrondissement parisien. Exotisme garanti.

Cocon et tisane

Samedi 11 heures, nous voilà à Kupala, qui a ouvert cet été. Notre «maître de vapeur» sera Sacha, nous dit la dame de l’accueil, à l’accent slave. Ukrainien, arrivé en France il y a deux mois, Sacha ne parle pas français, juste quelques mots d’anglais. Mais la dame assure qu’on se comprendra. OK. L’athlétique quinquagénaire ceint d’une sorte de pagne a le regard de glace, on se dit qu’on va surtout lui obéir, hein. On lui emboîte le pas tandis qu’il descend au sous-sol.

Un seul coup d’œil renvoie le repaire bien «roots» de l’East Side au rayon reliques. Tout exsude le cosy bobo haut de gamme dans ce dédale couleur taupe, raccord avec le bois omniprésent – les prix, astronomiques pour qui connaît la pratique dans la version originelle et populaire, confirment ce luxe. Déshabillage dans une cabine aux airs de chalet. Se voir dans la glace en string et soutien-gorge de papier est un coup dur, vision qu’on évacue grâce au peignoir safran. Et hop, en claquettes, on trottine vers Sacha.

Il nous mène un espace de repos avec fauteuils, feu de bois, thé, quelques livres. Un cocon. Sacha invite à boire une tisane citron-miel-gingembre et à grignoter un gâteau. On resterait bien là, à siroter et à oublier les tempêtes du monde. Mais Sacha fait signe d’enlever le peignoir. Et il nous tend un chapeau cloche en laine qui porte sans doute un coup fatal à notre dignité, mais bon, on n’a manifestement pas le choix. On repère un grand tonneau où on sait qu’une eau glacée nous attend, on n’a pas hâte.

Shoot de chaud…

Une douche tiède et on entre dans le sauna (parilka) tout en bois, où attendent des rameaux de bouleau et d’eucalyptus rassemblés en brassées (vénik). On s’allonge. La chaleur est agréable, ni sèche ni trop humide, et pas trop intense. Ce qui est carrément divin, c’est le ballet (parénié) que Sacha entame au-dessus de nous, avec les rameaux. On entend d’abord les bruissements, comme des ailes d’oiseaux, on sent la chaleur se déplacer, puis les rameaux nous frôlent, c’est une caresse plus qu’une flagellation. Sacha demande régulièrement : «OK ?» Ah oui, complètement, super même. Au bout d’une vingtaine de minutes recto puis verso, douche tiède et exit le chapeau. Repos, cette fois avec tisane herbes-citron. Dans le rocking-chair, on fixe le feu en ne pensant à rien, on commence à planer.

Retour dans le sauna. Cette fois, Sacha fait monter la température (qui va de 50 à 75°C avec une humidité à 60 %) en versant des louches d’eau froide sur les pierres incandescentes. Le balayage aussi se fait plus intense, plus appuyé, c’est l’heure du fouettage. Est-ce dû à la chaleur, à la détente ? Le ressenti est plutôt de l’ordre du massage tonifiant. On sent des odeurs de feuillus et de pamplemousse, elles font écho à la tisane. Re-louche sur les pierres. Shoot de chaud, on se sent cramoisie, Sacha demande toujours : «OK ?» Parfois il applique directement les rameaux sur les pieds, les cuisses, le ventre, les épaules. On se croirait partie en forêt, on pense au Règne animal de Thomas Cailley.

… puis de froid

Pile au moment où la chaleur devient pénible, Sacha désigne les claquettes, nous aide à nous relever. Bienvenu car la tête nous tourne un peu. Là-dessus, douche, froide cette fois. Wow, ça fouette. On laisse échapper un piaillement de surprise. Rebelote juste après, en entrant dans le tonneau d’eau glacée (10°C). Sacha désigne sa tête du doigt, puis l’eau. Quoi, hein, la tête dans l’eau ? ! Sacha dit «strong woman» et son regard n’offre pas d’alternative. Vas-y pour l’immersion de la mort. Mais non, l’impression est géniale. Un shoot de froid. Il nous revient des souvenirs de bains en Bretagne.

S’ensuit une vingtaine de minutes emmitouflée sur une sorte de hamac plat, qui oscille doucement. Pour le coup on plane complètement, bercée par le bruit de la pluie sur le velux au plafond, avec vue sur le ciel. Quand Sacha revient pour un savonnage aux rameaux de bouleau, on le suit comme un toutou. La technique (qu’on a préférée au gommage au sel pour préserver un cuir réactif) est étonnante, les feuillus font une éponge très mousseuse et doucement exfoliante avec effet peau de bébé. De retour au rocking-chair et à la tisane, on se balance façon vieux cow-boy qui a tout vu de la vie. Mais une fois dans la rue, au bout de deux heures, on se sent moins flapie qu’attendu. Presque prête à reprendre le bouleau.

Institut Kupala, 20 rue de Vouillé, Paris XVe.