Unilever a évidemment embrayé, pour alimenter encore la tendance : il y a une semaine, le mastodonte néerlando-britannique de l’agroalimentaire et des produits d’hygiène a dévoilé un partenariat avec le réseau social TikTok. Il prend la forme d’une série de feuilletons où sont utilisés certains de ses produits de nettoyage. C’est la concrétisation d’une stratégie marketing que détaillait quelques mois plus tôt, en juin, un communiqué de presse où l’opportunisme était complètement assumé. On y lisait notamment que depuis la pandémie de Covid, «le boom du nettoyage et les nouvelles habitudes des consommateurs ont conduit à plus de 79 milliards de vues de #CleanTok et de son contenu vidéo associé, dépassant d’autres tendances populaires telles que #BeautyTok avec 50 milliards de vues. Le partenariat vise à célébrer le changement de perception du nettoyage, qui passe d’une corvée à une forme de divertissement, et qui rassemble des millions de fans à travers le monde».
Et de frétiller d’excitation : «Ce qui est génial avec #CleanTok, c’est qu’il y a un cleanfluencer pour tout le monde. Vous pouvez trouver quelqu’un qui vous plaît - jeune, vieux, homme, femme, famille, célibataire – et quel que soit votre style de nettoyage ou vos besoins, qu’il s’agisse d’astuces, de transformations ou de nettoyages en profondeur.» La campagne va quadriller le monde jusqu’en 2024, «au Royaume-Uni, au Vietnam, en Turquie, au Brésil, aux Philippines, en Thaïlande, en France, aux Pays-Bas, en Argentine et en Indonésie».
Dans un décryptage publié le 20 novembre, l’outil de veille des médias sociaux Visibrain pointe que l’initiative n’est pas isolée, Electro Dépôt, Darty, Hoover ou encore SeLoger surfent aussi sur #CleanTok, qui aurait déjà suscité 100 milliards de vues… Et on parie que, vu le contexte actuel, le mouvement ne va pas se tarir de sitôt.
Evacuer des tombereaux de casseroles de stress, de haine et de violences
L’option hygiéniste, d’une pulsion généralisée vers la propreté qui ferait écho à la volonté de maîtriser sa nourriture, son corps, son apparence, son image, est envisageable. Il est aussi notoire qu’être concentré sur une activité physique ou manuelle permet d’oublier le reste, coupure bienvenue. Mais une autre piste nous convainc plus. Sans doute qu’on tutoie là la psychologie de comptoir, mais comment ne pas faire le lien entre cet engouement pour le ménage (donc le rangement et la propreté de son intérieur) avec le chaos et la mocheté du monde extérieur ? On se prend chaque jour des tombereaux de casseroles de stress, de haine et de violences, en toute impuissance. Pouvoir au moins faire place nette chez soi, ranger et évacuer poussière, taches, moisi, est certes basique mais réconfortant. Symboliquement, et même si ça n’est que ponctuel, on reprend la main sur la pagaille, on n’est plus un fétu ballotté par le n’importe quoi. Ce pourrait d’ailleurs être un des rares aspects positifs de la charge mentale domestique. Cette satisfaction a déjà fait le succès de Marie Kondo, la coach en rangement japonaise autrice du best-seller la Magie du rangement – qui s’est depuis ravisée.
Visibrain apporte par ailleurs une précision surprenante : les vidéos de ménage seraient particulièrement prisées pour l’ASMR. L’Autonomous sensory meridian response (Réponse autonome du méridien sensoriel) est une technique de relaxation par les sensations qui passe par l’écoute de sons et ou le visionnage de vidéos. Son application au ménage suscite sur les réseaux sociaux des «hashtags tels que #asmrcleaning ou encore #asmrsounds. […] Au cœur de 23 % des posts, cette tendance se prête aux éponges, aux produits moussants ou aux sprays ménagers». Se détendre en regardant ou en écoutant les autres faire le ménage, sans le faire soi-même : comment n’y avait-on pas pensé ?