Moi, la cocotte en fonte noire, j’ai un aminche avec qui Marie fricasse tous les jours : le moulin à poivres. Elle l’a acheté en même temps que moi au bazar du bourg en 1919, juste après leur mariage avec Marius. C’est qu’il aime les frichtis relevés le Marius. Je suis toujours sur la table en chêne où Juliette essaie de m’atteindre en grimpant sur une chaise. Elle a maintenant 3 ans et elle est curieuse de tout. L’école maternelle est trop loin pour ses petites jambes alors elle est tout le temps fourrée dans les jupes de sa mère. Qu’il vente, qu’il pleuve, qu’il neige, elle trottine derrière Marie quand elle va ouvrir la porte du poulailler. Juliette a même le droit de donner les épluchures aux Bresse-Gauloise qui s’égaillent sur la terre noire. Mais elle se fait gourmander quand elle se fait chatouiller les ongles par les lapins qui apprécient tout particulièrement les fanes de carottes que Juliette leur tend à travers le grillage de leurs cages.
Monstre de métal
Il n’y a qu’un interdit pour Juliette : elle doit rester sagement dans la maisonnette quand les trains passent et que sa mère est à la manœuvre à la barrière. A la fenêtre, elle regarde foncer ces monstres de métal crachotant leur vapeur grisâtre. Mi apeurée, mi fascinée. L’autre jour, une locomotive s’est arrêtée devant la maisonnette. Le mécanicien et le chauffeur en sont descendus. Ils étaient un peu effrayants avec leur visage noirci par le charbon qui faisait ressortir le blanc de leurs yeux. Le chauffeur, fort