«Bouboule», «la morte», «clochardes», «bougnoules de quartier», «blédards», «j’adore virer les gens», «nazes», «débiles», «médiocres», «pute» : mis bout à bout, les termes employés par Ramdane Touhami à l’égard de ses subordonnés témoignent d’un mépris décomplexé et d’une grande violence. Le directeur artistique et entrepreneur est au cœur d’une enquête menée par Mediapart auprès d’une quinzaine de salariés et anciens employés de plusieurs de ses sociétés dont Art Recherche Industrie, son studio de design, sous contrat notamment avec LVMH et collaborant avec Zara dont il a repensé les cafés. Le couple Ramdane Touhami et Victoire de Taillac a revendu leur marque de cosmétiques Officine universelle Buly à LVMH fin 2021 pour 179 millions d’euros. Touhami a récemment ouvert une boutique-café dédiée au monde de l’alpinisme, après avoir inauguré un hôtel de luxe dans la montagne suisse en 2023.
«Coup de boule» et «caca dans la tête»
Ce qui frappe d’abord, ce sont les humiliations subies par les équipes du directeur artistique, particulièrement virulentes au sein de son studio de création design. Les personnes interrogées parlent de leurs réunions hebdomadaires comme d’un «calvaire», avec son lot de «reproches, injures, colères noires, mais aussi autocongratulation du patron», explique Elodie. «J’ai un langage fleuri, wow quel scoop», répond l’intéressé qui aime se décrire en «caillera». Les citations qui abondent dans l’article sont tristement éloquentes : «Je vais vous souhaiter la bonne année 2024, lance-t-il fin 2023. Si je le faisais sans filtre, ça serait : “Allez crever vos races.”» ; «Vous avez deux solutions : ou vous vous suicidez, ou vous repartez à l’attaque» ; «Le mec avec des lunettes là-bas… [s’]il était à côté de moi, c’était un coup de boule» ; «Vous avez du caca dans la tête ou quoi ?» ; «Vous savez combien elle coûte, la connasse qui fait le service le matin ?» ; «Que la fête commence. Je vais vous enculer comme vous ne vous êtes jamais fait enculer». Ou encore sur un enregistrement en possession d’un ancien employé de son hôtel suisse qui lui demandait le paiement de ses heures supplémentaires : «Je vais gagner et on va demander des dommages et intérêts. On va vider la baraque de votre mère. Vous aurez tellement d’huissiers sur la tête, dès qu’il y aura un centime sur n’importe quel compte en banque, il sera pour moi.» Ramdane Touhami parle lui de «politesse hypocrite» auprès de ses employés, et regrette face aux questions de Mediapart qu’«on ne [puisse] plus parler». «On me demande d’être éduqué comme eux. Je ne sais pas faire, je n’ai même pas envie de faire l’effort.» A eux de s’adapter en somme.
Plusieurs membres de ses équipes se sont transformés en assistants personnels du couple, réparant une baignoire bouchée ou promenant le chien de la famille. Beaucoup plus problématique car mettant en danger ses salariés, Ramdane Touhami aurait exigé qu’une partie du déménagement des meubles destinés à l’hôtel Drei Berge, planté dans le village suisse de Mürren, inaccessible en voiture, soit géré par ses employés et non par une société de déménagement. Deux salariés ont dû conduire chacun un camion sur des routes interdites à la circulation, prenant le risque de l’accident. Ramdane Touhami explique : «Ça coûtait moins cher de payer l’amende que de monter les meubles en hélico […] la route est autorisée à certains véhicules.» «Sur autorisation», précise une employée de la municipalité confirmant la dangerosité des routes concernées.
Location à 100 000 euros d’un yacht
Mediapart pointe également le flou qui semble régner dans la gestion de la holding, Honmono Family, regroupant les multiples activités de Ramdane Touhami et de son épouse Victoire de Taillac, finançant des dépenses privées (location d’un yacht à hauteur de 100 000 euros, restaurant privatisé pour l’anniversaire de sa femme à 40 000 euros…) via les comptes de sa holding, qu’il assure toujours rembourser. La rénovation de sa maison parisienne (501 m2) a elle été facturée à hauteur de 10 000 euros, ce qui surprend l’une des salariées de son studio : «Une rénovation complète comme ça, on l’aurait facturée près de 1 million pour un client.» Le principal intéressé répond : «Je ne vais pas me facturer moi-même ! J’ai payé, j’ai remboursé les frais de deux mois de travail de la personne qui a travaillé dessus.»
Ramdane Touhami n’a pas été particulièrement surpris par l’appel de Mediapart : «Vous avez mis du temps à venir me chercher, ça fait des années que je suis un “gueudin” [un dingue, ndlr] !» Le directeur artistique serait sur le point de s’installer en Italie, réduisant ses effectifs parisiens, parlant de «purge» et clamant qu’il «adore virer les gens» à ses troupes. L’inspection du travail a mené plusieurs visites surprises dans cinq sociétés de l’entrepreneur, et relevé toujours selon Mediapart «de nombreux manquements aux obligations de l’employeur».