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Libération
Impunité

Harcèlement, film porno, croix gammées… Entre Kanye West et Adidas, dix ans d’abus

Antisémitisme, violences verbales et physiques, diffusion d’images porno… Les excès du rappeur-créateur étaient connus de la direction de l’équipementier dès 2013 aux prémisses de leur collaboration, révèle une enquête d’ampleur du «New York Times».
Le rappeur Kanye West en 2016, à Hollywood. (JONATHAN LEIBSON/Getty Images via AFP)
publié le 3 novembre 2023 à 16h20

On comprend mieux comment on a pu en arriver là, selon l’expression consacrée, à la lecture de la longue enquête du New York Times (plus de 7 000 mots) consacrée aux débordements de Kanye West au cours de sa collaboration avec Adidas, commencée en 2013 et qui a pris fin à l’automne 2022 après ses déclarations antisémites et ses prises de position contre le mouvement Black Lives Matter – nous avions assisté au défilé surprise de Yeezy, la marque de l’artiste, en octobre 2022, où figuraient des tee-shirts floqués du slogan suprémaciste «White Lives Matter». Car chez Adidas, pendant des années, rien n’a été fait pendant des années au plus haut niveau au sein d’Adidas pour stopper les égarements de la pop star, diagnostiquée bipolaire. L’artiste, designer et rappeur, capable du meilleur comme du pire, a même été conforté à son poste, croulant sous les dollars et des contrats toujours plus mirifiques.

Une collaboration très lucrative

Kanye West, qui veut désormais qu’on l’appelle «Ye», a montré dès les premières réunions avec les équipes d’Adidas, en 2013, à quel point il se considérait comme intouchable. Ainsi cette première réunion de travail où, pour marquer sa désapprobation avec des dessins proposés par les créatifs dédiés au design des Yeezys, nom de ses sneakers, Ye dessine des croix gammées sur les modèles qu’il ne juge pas à son goût. La scène se déroule dans les bureaux d’Adidas en Allemagne, à quelques kilomètres de Nuremberg où furent jugés 24 dignitaires du Troisième Reich et où le concept de crime contre l’humanité émergea. Quelques semaines seulement avant l’épisode des croix gammées, le rappeur avait diffusé des extraits d’un film porno aux dirigeants d’Adidas, qu’il avait invités chez lui à New York, pour stimuler leur créativité, selon l’article. Ce type d’épisode va se multiplier année après année sans que rien ne soit fait pour stopper Ye.

L’enquête implacable du New York Times éclaire sur l’ensemble de la relation entre l’artiste et l’entreprise. L’association fut un «win-win», autant pour Adidas, à la peine sur le marché en 2013, loin derrière Nike, et qui a de nouveau semblé cool aux yeux de la nouvelle génération, que pour Kanye West, qui a ainsi acquis une crédibilité et une grande visibilité dans le monde de la mode.

Les Yeezys, sneakers devenues mythiques dès leur apparition sur le marché, auraient rapporté jusqu’à 1 milliard de dollars par an à l’équipementier, et des centaines de millions de dollars à Ye. Plus de 250 modèles différents seront produits au total. Le contrat entre Kanye West et Adidas reste le plus gros jamais signé avec une personnalité non-athlète, et le deuxième le plus élevé de l’histoire, après celui liant le basketteur Michael Jordan à Nike et qui a permis à la marque à la virgule de largement distancer Adidas dès 1984, année du lancement des Air Jordan.

Colérique, ordurier, agressif…

Egocentrique, obsessionnel et tatillon, au point de bloquer les processus de création, sujet à des crises paranoïaques de plus en plus aiguës, si ingérable qu’une marche à suivre est imposée aux équipes travaillant à ses côtés (ne pas entamer de relation intime avec lui, ne pas travailler à proximité du rappeur de trop longues semaines…), colérique, ordurier, agressif, osant affirmer que son contrat avec la firme était «de l’esclavage», Ye a été écarté des affaires en octobre 2022 après ses déclarations publiques sur les juifs, l’esclavage et le mouvement Black Lives Matter.

Les dirigeants d’Adidas n’ont pas pris en compte les alertes des équipes qui travaillaient au côté du rappeur. Ils ont au contraire renforcé son sentiment d’impunité en augmentant sa part des royalties et en produisant toujours plus de modèles de Yeezys. Jusqu’à arrêter les frais l’an dernier, face aux sorties toujours plus ignobles de leur protégé. A force de tarder à condamner les folies de sa poule aux œufs d’or, Adidas a non seulement fait preuve d’une négligence hautement problématique, mais s’est rendu complice de son collaborateur. Adidas a prévu de lourdes pertes suite à la rupture de son contrat pour l’année 2023.