Menu
Libération
Mode

Fashion Week à Paris : l’homme bien aéré

A en croire les collections masculines d’Etudes, Botter, Lemaire et Wales Bonner présentées mardi et mercredi, le printemps et l’été 2024 s’annoncent légers, non sans fantaisie et raffinement.
Le trio français d’Etudes sait projeter son audience dans des mondes le plus souvent urbains (Luca Tombolini)
publié le 22 juin 2023 à 12h30

Tout est question de narration dans la mode. Le succès revient à qui sait créer des histoires autant que des images. Le trio français d’Etudes sait projeter son audience dans des mondes le plus souvent urbains. Jérémie Egry, Aurélien Arbet, et José Lamali mêlent à présent le workwear (une combinaison grise de travailleur aux découpes verticales), les vêtements d’extérieur (ils sont par ailleurs à la tête de la création du label Aigle), le tailoring (des vestes décontractées aux boutons argentés), le streetwear (des bombers transformés en trench-coat, en gilet à poches ou en pantalon large) et le sportswear (veste zippée de jogging sur pantalon assorti boutonné sur les côtés), collaboration avec des artistes, ici avec un grand talent, Julian Farade, découvert récemment à la galerie Derouillon à Paris, qui a dessiné sur quelques ensembles dont un pantalon baggy resserré aux chevilles et une longue veste blanche ou une veste déchirée aux manches.

Cette nouvelle collection est l’aboutissement d’un triptyque dédié à Paris. Etudes prend de la hauteur, et défile sur le toit d’un parking, à l’air libre. La collection prend le contrepied des vues de la cité (le zinc, les cheminées, la butte Montmartre au loin) qui nourrissent l’imaginaire des touristes et d’Emily in Paris. C’est le Paris des skateurs qui s’échappe ici (moins logotypé et marketé que celui de Pharrell chez Louis Vuitton) et d’une jeunesse sous perfusion de musique électronique, inspiré du gabber anglais – la bande-son du show est signée de The Hacker dont la patine se reconnaît entre mille.

Botter, doux vaudou

Le duo à la tête de Botter a choisi le solstice d’été pour présenter sa nouvelle collection mixte. Dans les locaux surchauffés et en travaux du Centre de danse de la rue de Clichy à Paris (IXe arrondissement), la nouvelle collection de Rushemy Botter et Lisi Herrebrugh irradie et semble démontrer que le couple à la ville comme à l’atelier s’est libéré du poids de la grande maison qu’ils devaient revivifier, Nina Ricci, quittée en janvier 2022. Ils ont beaucoup de bonnes idées (notamment cette façon de tordre les vestes ou de leur ajouter un col comme un décolleté), de l’humour (vous porterez bien une crinière de cheval en bijou l’été prochain ou un gilet de sauvetage sur votre blouson beige ?), apportent des touches de légèreté parfaitement maîtrisées. Leur façon de faire de la mode s’inspire des principes du vaudou haïtien, où «tout dans l’univers affecte tout le reste», écrivent-ils dans leur note d’intention. «Nous formons tous une unité, poursuivent-ils. La notion de l’unité de toutes les forces de la nature est au cœur du vaudou. Le lien entre les vivants et les esprits, la Terre, le territoire et les différentes étendues d’eau, est important dans tout ce qui contribue à la recherche de l’équilibre et au rétablissement de l’harmonie et du rythme.»

L’artiste haïtien Day Brierre a dessiné sur des soies organiques et tissées, dans un jacquard aux fils d’algues et de coton, indique encore la marque fondée en 2018 aux Pays-Bas. Un ensemble veste pantalon en scoubidou recyclé rouge vif nous interroge : l’air qui passe entre les «mailles» rend-il le poids de l’ensemble plus négociable ? La version débardeur fonctionne aussi très bien, associée à un pantalon noir (le long duquel pendouille une drôle de créature en guise de porte-clef, mi-poupée mi-animal, créée par Daniel von Weinberger à partir de jouets abandonnés) et des baskets bleues et jaune fluo. Au pied des modèles, on retrouve d’ailleurs le fruit d’une collaboration avec Reebok, mi-sneakers mi-poisson, mais qui s’inspire en réalité des coquillages murex que la déesse Vénus utilisait comme peigne. Le duo joue des matières avec une grande facilité : un pull en crochet auquel a été intégré un soutien-gorge, porté par un garçon ; une robe très longue somptueuse légère et transparente, dont le tissu est découpé comme des écailles.

Lemaire, éloge de la légèreté

Sur un parvis de béton (celui de l’Université Pierre-et-Marie-Curie, à Paris) dont le sol est comme mouillé par l’averse, une foule (mixte) se croise à différents rythmes (dont un saxophoniste au ralenti), en un ballet urbain qu’on trouve ici poétique, loin de notre vécu quotidien. Le vestiaire de ces hommes et femmes y est sans doute pour beaucoup. Sarah-Linh Tran et Christophe Lemaire excellent dans l’«effortless», le vêtement d’une élégance facile, naturelle. Il est sophistiqué mais sobrement, on ne se dit jamais que c’est tarabiscoté ou «joli mais pas pour moi». D’aucuns pourraient même lui trouver une normalité excessive. Ceux-là sont adeptes du choc plutôt que du charme.

Pour notre part, on loue l’association de la légèreté palpable des matières (dont certaines semblent techniques, aptes par exemple à sécher de façon expresse et peu froissables) et de lignes classiques mais pas datées – grandes parkas oversize à manches arrondies, jupes légèrement torsadées, magnifiques pantalons en toile, amples mais resserrés à la cheville par un lien, indiscutables robes chemises pour les deux sexes. La superposition très d’époque va bon train, sans que ces couches successives soient synonymes de lourdeur. Les coloris sont subtils et beaux – indigo, mastic, kaki, vert d’eau, rouille, bleu pâle. Des drapés sont esquissés, des cordelettes, des liens et des boutonnages décalés apportent encore du mouvement. S’en dégage une sérénité majestueuse.

Wales Bonner, sport chic

Evidemment elle est arrivée en retard, d’où début de défilé retardé. Naomi Campbell sait-elle seulement prendre un départ ? Peut-être faudrait-il songer à disqualifier l’ancienne reine des podiums, histoire de lui rappeler les règles de cette course de fond qu’est une Fashion Week. C’est d’autant plus ballot que la collection présentée mercredi dans la cour de la Monnaie de Paris s’intitule «Marathon» : la créatrice britannique Grace Wales Bonner a voulu rendre hommage aux grands champions éthiopiens et kenyans. «Les yeux fixés sur l’horizon et les jambes portées par la croyance, Gebreselassie, Dilaba et Kipchoge lancent un appel à continuer et à ne jamais s’égarer. Suivant leurs traces, la collection printemps été devient une ode aux longs voyages et aux missions de la vie», dit notamment la note d’intention.

Grace Wales Bonner, 31 ans, est une as de l’hybridation des registres (du classique à l’arty, du luxe au sportswear) qui lui permet d’habiller aussi bien FKA Twigs que Meghan Markle, et cette salve-là, d’inspiration complètement sportive – deux marathoniens éthiopiens figuraient d’ailleurs parmi les mannequins, Yomif Kejelcha Atomsa et Tamirat Tola – en apporte une preuve ravissante. Même les pièces qui convoquent les survêtements, fruits de sa collaboration avec Adidas, sont empreintes d’un raffinement particulier, d’une souplesse chic. Les pantalons y compris les jeans sont bordés sur le côté d’un galon très smoking, des tops et des tailleurs jupes se parent de perles ou de pompons, un ensemble avec short est parsemé de fleurs au pistil nacré, les cols des vestes et manteaux sont très courts ou alors larges. Autant de détails qui mettent ce vestiaire dans la course des grands, qui gèrent leurs forces avec précision et panache.