On se demandait s’il allait se passer quelque chose, si la semaine de la mode qui s’est ouverte lundi à Paris, pour huit jours, allait faire quelque chose ou rester tankée dans sa bulle de luxe et de glam, pendant que l’Ukraine croule sous l’assaut russe. On espérait que tout de même, certains allaient emboîter le pas à la statue du commandeur Giorgio Armani, qui a été le seul, la semaine dernière lors de la fashion week milanaise, à réagir ostensiblement – par un défilé sans bande-son, dans un silence complet.
Alors, il y a bien eu, de-ci de-là, des déclarations déplorant la tragédie en cours. Dès l’ouverture, la Fédération de la haute couture et de la mode publiait le communiqué de presse suivant, signé de son président, Ralph Toledano : «La grande famille de la mode se retrouve pour la Paris Fashion Week au moment où la guerre s’est brutalement abattue en Europe et plonge le peuple ukrainien dans l’effroi et la douleur. La création repose sur le principe de liberté, quelles que soient les circonstances. Et le rôle de la mode est de contribuer à l’émancipation individuelle et collective dans nos sociétés. La Fédération de la haute couture et de la mode vous invite donc à vivre les défilés des jours à venir avec la gravité qui s’impose en ces heures sombres.» Une marque comme Botter faisait état de sa «compassion et de sa solidarité avec le peuple ukrainien qui se bat ces jours-ci en première ligne pour ce à quoi nous croyons tous», son défilé comptait notamment une éblouissante silhouette jaune et bleu.
Le mot «PEACE» en lettres bleues et jaunes
Mais ce mercredi, c’est un poids lourd qui a parlé : Balenciaga a effacé tous ses anciens posts sur ses réseaux sociaux, pour les remplacer par les couleurs du pays bombardé. La marque aux dizaines de millions d’abonnés sur Twitter et Instagram a précisé qu’elle «ouvrira ses plateformes dans les prochains jours afin de rapporter et de relayer l’information relative à la situation en Ukraine», et qu’elle a effectué un don au programme alimentaire mondial des Nations unies, en invitant sa communauté à en faire de même. Au même moment, le groupe Kering auquel elle appartient a annoncé qu’il s’apprêtait à opérer un don «important» à au HCR, l’Agence des Nations unies pour les réfugiés, tout en appelant à «une résolution pacifique de ce conflit», avec à l’appui, en illustration, le mot «PEACE» en lettres bleues et jaunes.
D’aucuns diront que tout ça est assez convenu, ne suppose pas un courage dément et arrive après la bataille ou presque vu que le monde entier défile pour l’Ukraine depuis plusieurs jours. Il demeure qu’au vu de la frilosité des marques de luxe en matière de positionnement politique, ces initiatives sont signifiantes, et étant donné l’aura de Balenciaga, bienvenues. Par ailleurs, la maison créée par l’Espagnol Cristóbal Balenciaga a, depuis 2015, le Géorgien Demna Gvasalia pour directeur artistique. Né en 1981 à Soukhoumi, capitale de l’Abkhazie, alors en Géorgie soviétique, d’une mère russe et d’un père géorgien, il avait 12 ans quand toute sa famille a dû fuir la guerre civile et les indépendantistes abkhazes. Tbilissi, l’Ukraine, la Russie, et enfin l’Allemagne (Düsseldorf) ont été les étapes de leur exil. On gage que Demna Gvasalia comprend mieux que la plupart d’entre nous ce que vivent actuellement les Ukrainiens. De quoi escompter, aussi, un message particulier lors du défilé de la marque, dimanche.