Rick Owens nous coupe le souffle avec une déflagration de panache, mais empreinte de douceur qui confirme son statut de sorcier de la mode. D’ailleurs, qui d’autre que lui avait le pouvoir de faire cesser la pluie qui accompagne depuis le début cette Fashion Week ? Son show en plein air, au Palais de Tokyo, a eu lieu sous un ciel subitement dégagé, dont la luminosité accentuait la beauté du vestiaire présenté. Il est inspiré de l’Egypte où, explique Owens dans un communique post-show, «je trouve un grand réconfort dans l’éloignement et l’ampleur de son histoire. Mes préoccupations personnelles et mes malaises mondiaux me semblent bien petits face à cette sorte d’intemporalité.» De fait, sa collection exsude la sérénité, 45 silhouettes qui avancent lentement, fascinantes.
Elles sont des reines postmodernes, qui allient traîne et cuissardes plateformes. Les premières sont parées d’une intrigante matière translucide dont on apprend qu’il s’agit de peaux de vache issues de l’industrie alimentaire et traitées «en utilisant uniquement des matières organiques et de la glycérine naturelle» – de même que les grandioses manteaux aux airs de robes de bal sont faits de tulle recyclé, la durabilité s’installe toujours plus dans le luxe. Quelle que soit la matière, Owens confirme son art du drapé, sa faculté de créer et de déplacer des volumes, de procéder en sculpteur, avec un sens redoutable de l’allure qui scotche. Il parvient notamment à renouveler la sempiternelle petite robe noire avec une salve ultragraphique, à base d’asymétrie. Mais il fait aussi claquer la couleur, jaune, fuchsia, rose, parfois en version chatoyante, le dark ne l’emporte pas.
Chez Loewe, si l’élément clé du décor et du vestiaire est l’anthurium, au spadice éminemment érectile, la proposition de Jonathan Anderson exsude avant tout la douceur et une résolue légèreté, souvent teintée d’humour. A commencer par ces escarpins qui, de loin, semblent couverts de fleurs qui s’avèrent des ballons de baudruche dégonflés. Une pièce qu’on ne réussit pas à identifier a des airs de bouclier ventral, qui remonte jusque sous le nez, parfois il se combine à un gilet, c’est intrigant et pas moche quoique vraisemblablement peu praticable. En revanche, les robes de patineuses à col polo sont franchement jolies et pas si innocentes tant elles sont courtes. Le brillant esprit qu’est Anderson joue aussi très bien de l’anthurium, qui devient le haut d’une robe, qui remplace une bretelle, qui vient couvrir les seins, et c’est charmant. Les longs manteaux en cuir bicolores, avec des manches qui arrivent à la cheville tandis que les bras sont à l’air, sont magnifiques. Et puis, gros crush pour l’immense blouse à lavallière asymétrique et pour les courts blousons trapèze et multipoches.
Vestiaire sexy
Sur le versant de la mode courte vêtue, Ludovic de Saint Sernin fête déjà ses cinq ans et s’intéresse toujours au corps dénudé qu’il habille de strass Swarovski, de culottes en cuir plissé, et de shorts en jean étonnamment effilochés. Saint Sernin, dont le logo s’affiche notamment sur des débardeurs transparents, jette le même sort aux filles et aux garçons. C’est cette fluidité qui a forgé sa popularité. Cette saison, il dit s’être inspiré de Britney Spears, icône pop à son meilleur lorsqu’il était adolescent. On perçoit l’hommage notamment dans ces minijupes à la taille ultrabasse portées et une série de «bralettes» brillant de mille feux.
Nix Lecourt Mansion joue, elle aussi, avec les codes du vestiaire sexy dans une collection resserrée autour d’une petite dizaine de looks. Les vêtements doivent ici pouvoir être portés par des morphologies diverses (même s’ils sont toujours présentés par des créatures au corps bombesque) et notamment par des jeux de laçages latéraux qui détendent une jupe a priori crayon ou une robe bustier et dévoilent encore un peu de peau. La créatrice porte elle-même un ensemble très pin up, legging et blouson court en velours rouge constellé de brillants et marqué d’un «business» dans le dos et sur les fesses.
Isabel Marant oscille depuis ses débuts dans les années 90 entre un vestiaire bien urbain et une allure plus bohème, tirant sur l’ethnique, ce qui a pu lui être reproché dernièrement. La créatrice a replongé dans certaines allures du passé (les siennes), en s’inspirant de looks issus des nineties et des années 2000, puisque la mode est à la revisitation de ces deux décennies. Depuis quelques saisons, on sent l’envie de la créatrice de festoyer. Le mur de projecteurs servant de décor ne dit pas autre chose.
A la cool
Le défilé s’ouvre d’ailleurs sur une silhouette plutôt «soir» : veste en peau sans col sur une robe courte asymétrique qui semble très décolleté. Là aussi on découvre des pantalons taille basse, dont un en cuir, muni de poches volumineuses au format carré s’arrête largement au-dessus de la cheville.
Isabel Marant est d’humeur festive et légère. Elle dessine une robe courte délicatement recouverte de jolies broderies métalliques au décolleté en X. Le même décolleté que l’on retrouve sur des robes plus fluides aux imprimés fleuris et toujours courtes. Gigi Hadid, très en beauté, fend le podium dans une parka à l’imprimé camouflage adouci par des couleurs beige-orange-taupe. Elle découvre ses jambes, à la cool, ce qu’affectionne la créatrice française.
Le sexy, mais suggéré plus qu’assené, troublant plutôt qu’ouvertement aguicheur, est l’option de la collection de Victoria Beckham pour son premier défilé parisien, qui coïncide avec le dixième anniversaire de sa marque. Quoique notoirement de qualité, celle-ci est en pleine restructuration, marquée par le renfort des Français Ralph Toledano et Marie Leblanc de Reynies, (ex-responsable des achats du Printemps) comme PDG, avec l’objectif de devenir un business rentable, et on se dit que le vestiaire présenté a du potentiel pour séduire large: à la fois ses quelque 30 millions de followers sur Instagram et les jeunes femmes au portefeuille bien garni qui pourront s’y encanailler sans trop de risques.
Tournée vers le soir et d’inspiration lingerie, la collection est résolument glamour, plus sensuelle et douce que ce qu’on envisageait de la part de l’ex-Spice Girl, à la réputation de control freak et à l’apparence au cordeau. Les robes en descendance des nuisettes prédominent, souvent transparentes mais pas trop, élégamment fluides et asymétriques, coupées dans le biais. Certaines esquissent de beaux drapés. Elle-même souvent tirée à quatre épingles en noir, Beckham lui consacre plusieurs pièces mais pas solennelles, et elle joue aussi du crème et des pastels, rose, bleu, parme, vert. Les costumes pantalons monochromes, avec la veste à un bouton portée à même le torse, sont indiscutables. On est beaucoup moins fan des pièces en pampilles, qui alourdissent l’affaire.