Comment exprime-t-on la liberté de s’habiller, quand on l’a, contrairement à d’autres ? Que fait-on de cette liberté ? Comment les designers de mode s’en emparent-ils ? A l’heure où, en Iran, des femmes contestent avec un courage bouleversant un régime de terreur qui tend à les effacer en corsetant leur apparence, ces interrogations nous accompagnent dans la Fashion Week (dédiée au prêt-à-porter du printemps-été 2023) qui a commencé lundi à Paris.
Chez Maitrepierre, l’option choisie est le remix poético-gender fluid appliqué à Peau d’âne. Le défilé donné à la Maison des métallos, dans le XIe arrondissement, s’ouvre par un total look fleuri composé d’une combinaison intégrale, de boots plateformes et d’on ne sait quoi… Ça ressemble, disons, à une immense cape en forme d’âne. Il se clôt par un garçon qui semble avoir apporté sa couette – en format XXXL, elle crée sur lui comme un cocon duveteux, c’est charmant. Perché ? Oui mais entre-temps, Alphonse Maitrepierre, qui a lancé sa marque en 2018 et dont c’était là la deuxième prestation en Fashion Week, aura rappelé qu’il sait aussi faire du très portable comme des ensembles veste cropée sur pantalon de survêt, des robes-débardeurs, des minirobes à taille empire portées sur des pantalons baggy, de très chouettes vestes-tailleurs façon bomber. L’ensemble fait passer un enthousiasme communicatif, d’une jeune pousse bien vertébrée – et ouverte à l’aventure, comme l’atteste sa collab avec Desigual. Bien raccord avec l’époque, Maitrepierre revendique l’écoresponsabilité, des matières employées (soies, satins, denims et cuirs dead-stock, lycra et polyester en fibres recyclés) à leur traitement (enzymes de traitement naturelles et encres non polluantes), la production étant faite en France pour le prêt-à-porter et en Espagne pour les accessoires.
Associer swag et protection de la planète, notamment des mers et des océans : c’est le credo de Lisi Herrebrugh et Rushemy Botter depuis leurs débuts en 2016, et la nouvelle collection (mixte) du label Botter apporte une nouvelle preuve que non, l’écologie n’est pas (forcément) déprimée et déprimante. Le couple néerlandais (qui a officié trois ans chez Nina Ricci), distingué par le grand prix du festival d’Hyères en 2018 et celui de l’Andam en juillet, a le sens de la grâce, pour ourdir des silhouettes à la fois poétisantes et évidentes. Ces beaux costumes d’hommes portés la veste rentrée dans le pantalon, par exemple : super-idée, qui fonctionne parfaitement. La silhouette est fluide, les baskets à énormes semelles translucides viennent électriser le taylorisme impeccable mais qui n’a rien d’engoncé. Mention au petit prince en combo monochrome crème avec grand col ouvert sur le buste, et au roi en long manteau et pantalon bleu turquoise, la couleur maison qui rappelle les origines caribéennes du duo. Côté filles, un trench à manches amovibles en partie basculé sur l’arrière, une robe trench sans manches et un très élégant costume noir, donnent envie de voir Botter (au départ dédié à l’homme) développer encore sa proposition. Et puis, forcément, on remarque les accessoires, hors du commun. Certains mannequins ont les mains plongées dans des miniaquariums, l’un porte un sac à dos transparent renfermant des palmes congelées, d’autres des sacs en plastique où fond de la glace, ou des gants de plongée, un autre a la tête prise dans un filet de pêche… Des détails spectaculaires et troublants qui rappellent, entre ingéniosité et gravité, le cheval de bataille de Lisi Herrebrugh et Rushemy Botter.
Dior opère pour sa part un grand écart spatiotemporel, entre XVIe siècle (Catherine de Médicis pour inspiration) et métavers : le défilé qui a lieu dans un cube installé dans le jardin des Tuileries est diffusé en simultané sur les plateformes «Meta Ziwu» du géant chinois Baidu Xi Rang. Côté décor, on est dans le mystérieux, le conte baroque : dans le cube, on découvre une installation d’Eva Jospin, la magicienne ès carton : des murs peints d’arcades et, au centre, une grotte illuminée de l’intérieur, hypnotique, comme droit sortie d’un film de Tim Burton. Un aimant à selfies qui a dû tutoyer des records sur Instagram. Les mannequins défilent autour, 84 silhouettes au total, des danseurs parfois s’intercalent.
La collection joue impeccablement l’hybridation. C’est une mode d’ici et maintenant, mais traversée d’éléments historiques ambiance Renaissance, corsets, jupons qui rappellent la crinoline ou la robe panier, bloomer… Ils se mêlent à des crop-tops, des robes chemises, des trenchs (dont un, très beau, à immense col surélevé), des jeans, des grandes chemises blanches masculines, des shorts. La dentelle abonde mais sans mollesse romantique, les bottes de pirate et les escarpins plateformes à multiples brides qui remontent la jambe avec un écho SM apportent du tranchant. Emma Bovary pourrait aussi bien y trouver son compte que Miss Alma Peregrine. Au total, un vestiaire sans contrefaçon féminin, plutôt classique donc, sexy mais pas trop, complètement portable, et évidemment fastueux. Il confirme l’efficacité qui fait le succès commercial des propositions de Maria Grazia Chiuri.